Web : la toile algerienne se développe, doucement mais surement...

Numéro dossier: 108

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 Entretien avec Nazim Baya, fondateur du site El Manchar

El Manchar est un site web d’information parodique qui, depuis quelques temps, a conquis la toile algérienne. Nous sommes partis à la rencontre du fondateur de ce site qui a accepté de répondre à quelques-unes de nos interrogations. 

Pouvez-vous nous présenter le concept de votre site et nous parler davantage des motivations qui vous ont animé ?

El Manchar est un site d’information parodique de type satirique. Il a été lancé en mai 2015. Une page Facebook préexistait au site, je l’ai créée en 2013. J’y publiais quotidiennement des vannes en rapport avec l’actualité. C’était pour répondre surtout à une urgence politique, celle de la réélection du président Bouteflika alors qu’il venait de faire un AVC. En témoigne la première vanne de la page : « Quelle est la différence entre le journal El Manchar et Bouteflika ? Aucune, ils sont tous les deux à scies». Après le lancement du site, d’autres personnes m’ont rejoint et nous sommes actuellement 7 ou 8 à l’alimenter plus ou moins régulièrement. Dans l’ordre, il y a moi, Thétis, Lyna Gridi, Dinozor, Anis Benallegue, Abderrahmane, Si Lakhdar et Eternel Procrastinateur. Il y en a d’autres mais ils contribuent de façon épisodique.

El Manchar connaît un grand succès. Comment expliquez-vous cette rapide adoption par la toile algérienne ?

Je pense qu’il y avait un espace inoccupé en matière de presse satirique et nous en avons profité. Après, il y a le travail parce que nous sommes très assidus. Nous publions régulièrement, nous essayons d’être à la hauteur des attentes de nos lecteurs en les surprenant à chaque article. Nous ne prenons pas au sérieux mais nous faisons les choses sérieusement.

Vous traitez beaucoup de sujets en relation avec l’actualité. Pouvez-vous nous expliquer les critères de choix d’un sujet et comment se passe le processus jusqu’à publication ?

Chaque rédacteur écrit son papier de façon autonome. Il choisit ses thèmes selon ses propres sensibilités et écrit à son rythme durant son temps libre. Ensuite, les articles sont révisés par moi qui suis le rédacteur en chef. Je me charge de les illustrer et de les mettre en ligne. C’est grâce à cette synergie qu’El Manchar s’assure des publications à une fréquence quotidienne. En réalité, le journal est une sorte de « soupape de décompression » pour les rédacteurs, ou un espace de récréation pour jeunes adultes.

Avez-vous une limite à ne pas franchir concernant les différents sujets que vous abordez ?

Oui, les limites sont définies par notre ligne éditoriale. Ne pas prendre les Algériens (le peuple) à parti sans pour autant sombrer dans le populisme. Sinon, il est maintenant connu de tous que nous ne nous moquons pas de la religion. Cela n’exclut pas que nous soyons critiques envers les extrémistes religieux. Le problème de l’Algérie n’est pas religieux, il est politique avant tout.

N’avez-vous jamais eu un retour négatif ou des problèmes en relation avec vos articles de la part des personnes concernées par exemple ?

Non, jamais. Les personnalités publiques « manchardisées » jusqu’à maintenant ne nous en ont jamais tenu rigueur. Il y en a même qui ont pris la chose avec beaucoup d’humour à l’image de Kateb Amazigh qu’on annonçait mort étouffé dans un salon de coiffure pour dames et qui a réagi publiquement à notre article avec énormément d’autodérision.

Y a-t-il déjà eu un fait publié sur votre site qui s’est répandu comme véridique ?

Il n’y a eu que ça j’ai l’impression ! Les articles qui ont été relayés comme étant de vraies informations ne se comptent pas. Il y a eu d’abord le prêt ANSEJ pour mariage qui a fait le JT d’une chaîne de télévision algérienne. Ensuite l’interdiction de la mini-jupe en Algérie, puis l’affaire de Said Saadi et j’en passe. Mais notre plus grand canular est sans conteste le mari qui attaque sa femme pour faux et usage de faux une fois démaquillée. Ce billet a été repris aux quatre coins du monde par des médias de renommée internationale à l’image du Dailymail, Metro ou le Huffpost !

Quel est l’article qui a eu le plus de succès chez les Algériens et celui qui vous a le plus marqué ?

Il y en a plusieurs en vérité. « La Cour suprême d’Alger vient d’autoriser le mariage entre tlemceniennes et le reste des Algériens » au moment où la cour américaine légalisait le mariage gay. « La FIFA remet un diplôme d’entraîneur à tous les Algériens » ou encore « Warda Charlemonti accuse Adèle l’interprète de “Hello” d’avoir copié sa chanson “Allô omri ripondi”». Sinon, l’article qui m’a le plus marqué, c’est celui de Poutine qui propose bénévolement des greffes de testicules à l’ensemble des dirigeants arabes pendant son intervention à l’assemblée générale de l’ONU.

Maintenant qu’El Manchar est fortement présent sur la Toile, quelle est la prochaine étape pour vous? Y a-t-il une possibilité d’évoluer vers un support visuel ou même d’aller vers un concept plus poussé ?

Nous voulons renforcer davantage notre présence sur le Web et pourquoi pas ne pas devenir le journal électronique le plus lu d’Algérie. Effectivement, nous ambitionnons de porter notre travail à l’écran, avec quelque chose qui ressemblerait au Groland diffusé sur Canal+. Après, cela ne dépend pas vraiment de nous. Il nous faudra des producteurs sérieux, on verra.