TIC : quelles bonnes résolutions faut-il prendre pour 2014 ?

Numéro dossier: 85

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Rencontre avec Ali KAHLANE, Président de l’Association Algérienne des Fournisseurs de Services Internet (AAFSI)

Croyez-vous que le lancement de la 3G en Algérie va propulser sérieusement le développement des TIC dans notre pays ?

D’abord, il est indéniable que compte tenu de l'étendue du territoire et de la complexité des schémas urbains, la connexion sans fil telle que la 3G vient à point nommé pour accélérer le déploiement massif de l'accès à Internet dans notre pays. Maintenant, est-ce que l’avènement de la 3G serait ce sursaut salutaire qui nous permettra d’arrêter cette loi des séries où les retards s’additionnent aux retards, les annonces se dénoncent, les réalisations s’enlisent et où la myopie d’une vision stratégique des TIC nous laissent avec le constat d’un triple échec : celui des Télécommunications, de la Poste et de l’Internet, au regard aux investissements colossaux consentis depuis une douzaine d’année par notre pays ? J’ose espérer que oui !

D’une manière plus générale, les gains seront une augmentation du nombre de connectés à Internet. Il devrait pour la première fois dépasser la barre psychologique des 2 millions de connectés d'ici juillet 2014. Nous devrions compter alors au moins 15 à 17 millions d'internautes. Cela mettrait une pression positive sur les pouvoirs publics pour mettre en place des services en ligne à la disposition des citoyens, dont l'accès facilité à Internet leur donnera envie de se connecter encore plus pour accéder à encore  plus d’informations et, pourquoi pas, effectuer des démarches sans bouger de chez eux ou mieux encore, en toute mobilité! La demande d'informations en ligne devrait être telle que cela devrait booster un développement de contenu utile et de qualité à mettre à la disposition d'un nombre de connectés qui va aller forcément crescendo.

Il restera que, pour effectivement relancer le développement des TIC dans notre pays avec ou sans la 3G ou même la 4G/LTE, l’Etat devra engager trois actions fondamentales: simplifier et promouvoir l’accès aux équipements et aux services en ligne, disposer d’une régulation au service du citoyen et dont la priorité serait le bien-être et le confort technologique de l’utilisateur, et surtout disposer d’une meilleure connectivité donnant pour tous les citoyens, sans exclusivité, un accès au haut et très haut débit qu’il soit filaire ou mobile.

D'après vous, quels sont les blocages qui subsistent encore pour le lancement du paiement électronique en Algérie ?

Le Ministère de la Poste et des TIC dans son programme e-Algérie (l’Action B6 plus précisément), dès 2008, savaient que le développement de l’économie de l’Information et du Savoir ne pouvait se limiter au développement des infrastructures numériques qu’elles soient matérielles ou logicielles. Ils savaient que cela devait se faire en harmonie avec un environnement juridique et institutionnel solide et adapté. Il avait aussi prévu que le e-commerce serait une réalité dans notre pays en 2010. Cela ne semble malheureusement pas être le cas. Cet échec est d’ordre stratégique, car la volonté politique derrière ce plan n’a été suivie que de très peu d’effets sur le terrain.

A ce propos, on peut dire qu’e-Algérie n’a eu aucun résultat concret pour le grand public au regard des 1 010 actions qui y étaient planifiées et qui auraient du propulser le citoyen de 2013-2014 dans l’ère numérique en diapason avec le reste du monde. Il est vrai, par ailleurs, que le paiement électronique ne peut se développer seul, il doit tout naturellement se greffer sur le développement préexistant des TIC et, dans ce domaine, des obstacles importants subsistent encore dans notre pays. Ils sont d’ordre technologique, social, juridique et culturel.

Il existe une autre recommandation d’une extrême importance, c’est l’indépendance et la diversité dans le choix des systèmes de gestion des opérations de paiement en ligne. Ils doivent absolument être de fournisseurs différents et de préférence concurrents car dans le cas d’une faiblesse dans le fonctionnement d’un logiciel, d’un « bug » de programmation ou tout simplement d’une attaque informatique comme celle du fameux  ver « Stuxnet », c’est tout l’écosystème du e-paiement et de notre système bancaire qui risque de se trouver pris au piège ou en otage, au choix.

Le manque d’informations adéquates et pertinentes sur le commerce électronique, des plus hautes autorités, est malheureusement compliqué par des envois de signaux contradictoires qui laissent croire qu’elles ne maîtrisent pas encore ce dossier. Cela donne libre court à toutes les interprétations et à toutes les excuses pour ne pas y aller ce qui favorise le « wait and see » des professionnels aussi bien du secteur bancaire et financier que des commerçants qui, pour la plupart, sont prêts à en découdre avec les TIC.

Le faible taux de bancarisation en général, le manque de confiance dans les moyens de paiement électronique, finissent par justifier alors aux yeux de tout le monde la persistance de la culture du paiement “cash” dans les différentes transactions. On peut dire malgré tout que, pour le moment, les statistiques « vitales » du e-commerce algérien sont plutôt encourageants. Une vingtaine de banques, y compris Algérie Poste, utilisent déjà la télé-compensation et autre services numériques. Près de 3 500 commerçants ont installés des TPE (Terminal de Paiement Electronique). Plus de 1.5 million de cartes de paiement CIB (Carte Interbancaire) ont été distribuées aux usagers/clients, pouvant être utilisées aussi bien sur les distributeurs automatiques (DAB) que sur les terminaux de paiement électronique.

De nombreux acteurs des TIC en Algérie déplorent la pauvreté du contenu DZ sur la toile. Comment peut-on faire pour améliorer ce contenu et le développer en quantité et en qualité ?

De nos jours, Internet est à l'économie et à l'éducation ce que l'énergie est à l'usine et au transport ! D’après les chiffres du MPTIC, moins de 20% des PME/PMI algériennes utilisent les TIC pour leur gestion. Nous estimons qu’à peine 1% le font avec un ERP de classe mondiale (Enterprise Resource Planning ou Progiciel de Gestion Intégrée). Nombreuses sont les PME/PMI qui vivent encore dans le Moyen-âge numérique. Des millions de travailleurs, d'enseignants, d'étudiants et de lycéens sont aussi privés d'un moyen essentiel à leurs activités et à leur épanouissement. Il ne faut pourtant pas grand chose pour cela : un véritable cadre de coopération et une relation de confiance entre les entreprises professionnelles des TIC d'un côté, et les pouvoirs publics et l'opérateur historique de l'autre.

Cela permettra aux premiers de développer des applications et de nouveaux services et aux seconds de les offrir au citoyen pour une amélioration de son cadre de vie et de travail. Les m-éducation, m-santé, m-banque et autres m-gouvernement dont on parle tant, pourront enfin être une réalité de tous les jours.

En 2012, un pays voisin au notre a consacré près de 300 millions de dollars au développement logiciel avec un PIB 5 fois moins important que nous. Notre pays, lui, n’a consacré que 144 millions de dollars pendant la même période de référence. Les pouvoirs publics, en plus d’étudier des mesures de facilitation à l’accès aux TIC en général, devraient en priorité favoriser et promouvoir les créateurs de logiciels et les développeurs d’applications pour produire et faire proliférer du contenu national.

Vous avez critiqué à maintes reprises l'absence d'une réelle stratégie et vision chez nos autorités concernant le développement des TIC. Mais pensez-vous que les acteurs et professionnels des TIC sont suffisamment mobilisés en Algérie pour faire pression sur les autorités et les accompagner à adopter les réformes nécessaires au développement des nouvelles technologies ?

Les TIC algériennes, toutes formes confondues, ont exactement cinquante ans d’âge. Ramené à l’humain c’est, paraît-il, l’âge de la sagesse menant aux miracles. C’est vrai, et il y en a eu des miracles ! Notre première connexion à Internet date de 1991, bien avant certains grands pays. Nous avons déréglementé les télécommunications en temps et en heure. La téléphonie mobile a été un succès sans précédent et nous sommes toujours l’un des pays d’Afrique avec la plus grave télé-densité.

L’ASDL est lancé au même moment que les pays développés. Nous sommes aussi probablement le pays avec la plus grande infrastructure de fibre optique du continent africain. L’État consent des sommes colossales pour le développement des TIC. Les textes et les lois favorisant l’entrepreneuriat dans les TIC et mettant en place diverses facilitations sont légion. Ce sont les faits, ce sont des réalisations et actions constatées et elles sont très encourageantes !

Pourtant, les statistiques de l’UIT, de la Banque mondiale ainsi que les classements des différents observatoires mondiaux, nous rappellent obstinément que nous sommes classés parmi les derniers en ce qui concerne nos performances dans le développement et l’utilisation des TIC. Qui dit mobilisation dit organisation ou mieux encore association. Or, force est de constater que des trois associations professionnelles des TIC qui existent depuis plus de dix ans (AAFSI créée en 2002, AITA en 2003 et AASEL en 2009), aucune d’elle n’a été agréée au jour d’aujourd’hui. Pourtant, ces trois associations ont été et sont régulièrement sollicitées aussi bien par les autorités du secteur que par les organes d’information tant privés que publics.

Dans tous les pays du monde, les associations professionnelles et la société civile organisée ou pas concourent étroitement avec l’Etat à l’élaboration des politiques qui vont régir et réglementer la vie des citoyens et des structures qui les servent. L’Algérie a formé et forme des milliers d’ingénieurs et de techniciens dans le domaine des TIC. L’Algérie bénéficie aussi d’une diaspora qui tente désespérément de participer activement et contribuer ainsi à un développement tout azimut de nos TIC et par la même à celui de notre pays. Nous constatons malheureusement que ni les uns ni les autres ne sont plus associés à la réflexion nationale. Tous les professionnels des TIC, tous secteurs confondus, devront se donner la main pour aider ceux qui en ont la charge à prendre conscience que l’autisme technologique actuel n’est et ne doit pas être une fatalité. Nous devons les aider à libérer, au plus vite, les TIC de la bureaucratie.