M-Banking / M-Payment : la fausse bonne idée ?

Numéro dossier: 113

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Il y a quelques mois, l’algérien Lambda qui caresse encore l’espoir de pouvoir faire ses achats en ligne un jour, comme ses congénères un peu partout de par le monde, découvrait un peu par hasard le concept de M-Banking et M-payment.

 

Le paiement mobile, inconnu jusque-là en Algérie, entrait ainsi par la grande porte dans le débat national sur le paiement à distance, qui cristallise toutes les passions. Il faut dire que c’est la Ministre de la Poste et des TIC elle-même qui l’évoquait via une annonce, totalement inattendue, faite il y a quelques mois sur les ondes de la radio nationale. « Pourquoi passer par une phase intermédiaire qui est le e-paiement », expliquait Houda-Imane Faraoun proposant de passer directement à la technologie du paiement mobile, m-paiement. En gros, la première responsable du secteur proposait de laisser tomber l’e-paiement que les autorités ont du mal à lancer, pour le m-paiement qui serait meilleur.

Vrai ou faux ? Rien n’est moins sûr. En faisant cette déclaration, la Ministre a suscité un vif débat d’experts et de journalistes. Les “pour” et les “contre” se sont déchirés à coup d’arguments et de contre-exemples par presse interposée, mais la discussion en est restée là. Personne pour interroger la Ministre sur les tenants et aboutissants de sa démarche, personne pour lui demander d’expliquer sa vision des choses et surtout personne pour la confronter dans un débat d’idées. Même à l’Assemblée Nationale, où les élus interrogent régulièrement les ministres sur les aspects concrets de leurs politiques, la déclaration est passée comme une lettre à la poste, bien que la plupart de nos élus n’aient pas la maîtrise du sujet pour pouvoir poser des questions concrètes. Alors bonne ou mauvaise idée ? C’est mystère et boule de gomme.

Regardons tout de même le sujet de plus prés pour comprendre.


e-paiement, les raisons d’un retard

Acheter des choses à distance depuis son PC, voila ce que les Algériens appellent communément l’e-paiement. Un moyen pratique, rapide et moderne de faire des transactions à distance, via Internet. En fait, l’e-paiement c’est le règlement de toutes transactions financières en ligne. Dans d’autres pays (beaucoup), l’e-paiement existe déjà depuis les années 90. Il a aidé à créer une économie numérique, à créer de l’emploi, à raccourcir les distances, et à rendre la vie plus facile à des millions de gens.

Malheureusement, en Algérie, ce moyen de paiement éprouvé ailleurs tarde à faire son entrée. En cause, des retards techniques que les différentes institutions étatiques se rejettent. L’arrivée d’une jeune ministre des TIC, Houda-Imane Faraoun il y a quelques mois à la tête d’un département censé être à la pointe de la technologie, avait créé l’espoir de voir ce moyen de paiement éclore et se développer rapidement. Mais que nenni. Rien de nouveau sous le soleil d’Algérie. Les promesses n’ont pas été tenues, au même titre que les délais, et les Algériens vivent toujours leurs rêves par procuration. De plus, la conséquence de cette absence sur l’économie du pays se fait de plus en plus sentir. C’est toute une économie numérique, génératrice de richesses et d’emplois, qui tarde à voir le jour à cause d’un simple moyen de paiement banal de par le monde.

Peu à peu, ce retard est devenu un handicap. Les nouvelles technologies avançant à pas de géant, les Algériens s’en retrouvent bannis. Presse en ligne payante, vidéo à la demande, applications professionnelles et non gratuites, réservation d’hôtels, de places de spectacle, et autre livraison à domicile. Les Algériens sont parmi les rares citoyens au monde à ne pas y avoir accès. Un vrai manque à gagner pour le pays. Même les investissements étrangers en Algérie se voient réduits pour cause d’inexistence d’e-paiement sur notre sol. De grands groupes internet, de téléphonie ou de services en ligne s’installent en masse chez nos voisins de l’Est et de l’Ouest, au lieu d’élire domicile chez nous, à raison. Bref, ce n’est pas bon.


 

Les institutions se rejettent la balle

Le pire, c’est que le problème n’est pas prêt d’être réglé, car non identifié. Récemment, c’est une nouvelle guéguerre médiatique qui s’est déclenchée entre la Ministre de la Poste et des TIC et la Banque d’Algérie à ce sujet. En effet, pour Mme Faraoun, les transactions par Internet sont à l’arrêt en Algérie en raison de l’absence de la certification électronique mais aussi en attendant l’aval de la Banque d’Algérie qui tarde à venir. La non obtention de cette autorisation par son département est due au vide juridique régissant la certification et le commerce électroniques nuance-t-elle, mais ce n’est quand même pas de sa faute encore moins de celle de son département. La Banque d’Algérie se défend également de son côté, arguments en main. Celle-ci ne peut donner son aval à un texte que le gouvernement n’a jamais présenté, gouvernement dont fait partie la Ministre des TIC faut-il le rappeler.

Du coup, le résultat est le même. A nous les chaînes monstres aux guichets des postes, d’Algérie Télécom, de la SEAAL et autre Sonelgaz, alors que le paiement électronique réglerait définitivement ce problème. Nous ne pouvons toujours pas livrer à domicile, réserver sans se déplacer ou payer sans aller à la banque. En mai dernier, la presse avait encore une fois donné l’espoir à la société dans ce sens, annonçant la mise en œuvre de ce mode de paiement dès le mois de Juin. On attend encore.

 

Des palliatifs en attendant la délivrance

L’absence de e-paiement est tellement handicapante que même certaines « institutions » publiques de renom cherchent des palliatifs en attendant que les autorités prennent le taureau par les cornes. C’est le cas d’Algérie Télécom, l’entreprise publique qui gère Internet et la téléphonie fixe, qui a été la première à trouver une alternative. Ainsi, en 2014, l’opérateur lance le service “e-paiement” qui permet le rechargement de l’accès Internet haut débit (ADSL) à distance et à partir de n’importe quel ordinateur doté d’une connexion. La Poste mise à contribution avait également joué le jeu, en acceptant de ponctionner les comptes des abonnés souhaitant souscrire à ces types d’opération et l’opération avait connu un succès au moins médiatique.

Ce fut ensuite le cas d’Algérie Poste, de la SEAAL et de Sonelgaz. Des initiatives à applaudir bien qu’elles ne soient pas nombreuses. D’où l’idée du m-paiement. Un mode de paiement qui existe dans les pays du Sud de l’Afrique, dits émergents. Une solution que tout le monde ne partage pas.


M-paiement, d’où est venue l’idée ?

D’ailleurs, la plupart des experts s’accordent à dire que si les autorités algériennes se tournent vers le m-paiement au lieu du e-paiement, c’est juste le choix d’une solution de facilité. Les arguments laissant entendre que le m-paiement et l’avenir du e-paiement sont faibles, expliquent-ils. Auxquels cas, les pays les plus industrialisés et développés auraient emboîté le pas à l’Algérie. Ce n’est évidemment pas ce qui se passe. Le m-paiement reste l’apanage des petits pays d’Afrique qui sont loin d’être des modèles économiques pour un géant comme l’Algérie. Qu’à cela ne tienne, l’Algérie qui compte près de dix fois plus de smartphones que de cartes bancaires aurait beaucoup moins d’efforts à fournir pour développer cette technologie au détriment du e-paiement.

En ces temps de disettes, se lancer dans un grand chantier pour la bancarisation de la société, l’extension du réseau de fibre optique, la mise en place d’un cadre juridique complexe mais adéquat, et l’investissement en masse dans des systèmes pour sécuriser les transactions en ligne ne semblent pas enchanter en haut lieu. C’est probablement l’une des raisons qui a poussé la Ministre à affirmer publiquement sa préférence pour le m-paiement en plus des difficultés techniques rencontrées. Reste que tout n’est pas aussi simple. Car si le m-paiement permet certes les transactions à distance, il est beaucoup plus dangereux et restrictif que le e-paiement tout en étant moins pratique.


 

Un moyen de paiement venu d’Afrique

En effet, le lancement du m-paiement aura d’abord comme effet de freiner la bancarisation de la société, seule arme de lutte contre l’argent de l’informel. Alors que les autorités poussent les Algériens à rejeter la monnaie fiduciaire au profit du scriptural (chèque, carte bancaire etc), l’avènement du m-paiement peut faire effet de marche arrière sur tout ce qui a été fait.
Si les usagers ne sont plus obligés d’ouvrir des comptes bancaires pour profiter du paiement à distance, ces derniers ne le feront pas. Secundo, le paiement par mobile nécessite de recharger son compte (téléphonique) en crédit.

Non seulement, cela nécessite un déplacement, mais complique la tâche pour les grosses transactions. Certes, une combinaison compte bancaire/paiement mobile est possible mais elle reste laborieuse pour des institutions qui ont échoué à mettre en place le e-paiement. Sans compter qu’il faudra impliquer les opérateurs mobiles, négocier leurs commissions, sécuriser le réseau, etc. Enfin, bien qu’il soit un moyen de paiement éprouvé ailleurs, le m-paiement est de notoriété publique moins sécurisé que le e-paiement. Tout le monde s’accorde à le dire, ce qui est un obstacle de taille à son développement. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il vient plutôt d’Afrique, alors que les nouvelles technologies ont pour habitude de nous venir du Nord.

Kenya, Nigeria ou Zimbabwe, ce sont ces pays qui se sont les premiers lancés dans le m-paiement. D’abord parce que l’équipement en réseau mobile est moins coûteux qu’un réseau fixe, mais également parce que leurs sociétés respectives ne sont pas bancarisées alors que des millions de smartphones y circulent.


Même le m-banking a pris du retard en Algérie

Paradoxalement, même sur le m-paiement, l’Algérie a pris un retard considérable. L’adoption de cette technologie se justifiait pourtant dans les années 2000 alors que le pays compte aujourd’hui plus de 43 millions d’abonnés à la téléphonie mobile. A ce sujet, en 2014, certains experts avaient même préconisé la baisse de la circulation routière de 20% en cas de lancement du m-paiement ! Une voix qui n’a semble-t-il pas été entendue en haut lieu. La volonté actuelle de la Ministre est déjà dépassée.


e-paiement VS m-paiement

Ailleurs, le m-paiement est un moyen qui a fait aujourd’hui ses preuves puisque un tiers des transactions en Afrique se fait via le mobile. Une croissance qui n’est pas passée inaperçue au Nord. Même si le e-paiement existe, le m-paiement plaît de plus en plus en Europe ou aux Etats-Unis notamment pour sa simplicité. De grands groupes mondiaux y investissent et certains experts voient en ce mode de paiement un potentiel de croissance important. Qui l’eut cru ? Pour autant, le e-paiement reste pour autant la Rolls-Royce des modes de paiement. Il est basé sur un réseau solide de fibre optique, est très sécurisé, et est possible partout et tout le temps. Le m-paiement reste malgré son développement un palliatif. Un plan B que l’Algérie veut ériger en plan A, à défaut.


Kepler Technologies prouve que le m-Banking est une réalité en Algérie

Jour après jour, la technologie touche de nouveaux secteurs. Pour ce qui est du M-Banking, l’Algérie ne connaissait cette notion qu’à travers la définition. Elle la connaît à présent à travers les actions de Kepler Technologies, entreprise leader dans la fourniture de logiciels et de services.

 

Le 25 mai dernier à l’hôtel Sofitel d’Alger, un événement a accueilli pas mal de monde. Parmi eux, l’Ambassadeur de Roumanie, des responsables du ministère des finances ainsi que de nombreuses banques et grands facturiers. Tous ont abordé les enjeux du M-Banking dans le monde et en particulier en Algérie. L’événement a été organisé par le groupe Kepler Technologies. Abdelkader SALHI, gérant de cette entreprise en Algérie, est revenu sur le concept de m-Banking, ce procédé qui regroupe toutes les techniques permettant de réaliser des opérations bancaires à partir d’un téléphone mobile (consultation, gestion, paiements,…). A travers ce séminaire, Kepler Technologies n’a pas fait que présenter sa solution M-Banking mais a prouvé que l’Algérie a l’environnement et les compétences pour développer des solutions qui facilitent la vie des citoyens. Pour le prouver, M. Salhi a accepté de répondre à quelques-unes de nos interrogations.

 

Pouvez-vous nous raconter comment Kepler s’est installé en Algérie et que fait-elle au juste ?

Tout a commencé avec une délégation World Trade Center qui est venue de Roumanie avec le Président du groupe Kepler-Rominfo en 2009. A l’époque, je finissais ma formation à l’Ecole Supérieure Algérienne des Affaires. La première initiative a été faite entre la maison mère Kepler-Rominfo et une entreprise en Algérie qui s’appelait O.K Technologie. Bon nombre de soucis administratifs ont fait qu’à cette époque, la société a été recréée sous le nom de Kepler Technologies en 2011. On a commencé avec un premier client historique, TRUST Algeria Assurances, via un service de notification par SMS. Par la suite, nous avons commencé à développer beaucoup plus des solutions informatiques. Je pourrais citer Workflow et la gestion électronique des documents. En gros, tout ce qui est virtualisation, fluidification des processus,… En 2010, nous avions déjà commencé à faire de la virtualisation avec la Société Générale à travers un projet nommé “processus crédit documentaire à l’importation”. Aujourd’hui, nous avons 14 processus et pleins d’autres partenaires bancaires en Algérie.

Vous êtes donc plus axé sur les banques ?

Là, nous travaillons sur le M-Banking qui est un investissement spécifique que l’on a fait pour le secteur financier. Nos clients principaux sont les banques, avec un business modèle de commission, et les grands facturiers avec une licence annuelle qui leur permet d’avoir une interface pour gérer le reporting et consolider leurs informations.

La solution M-banking que vous proposez a été développée avec des compétences algériennes ou importées de Roumanie ?

Nous avons pris 3 ans pour développer cet outil grâce à une équipe composée de 6 ingénieurs et d’un chef de projet, tous 100% algériens. En partenariat bien sûr avec les banques, les facturiers et nos consultants : Nadir KARA, notre consultant dans tout ce qui est sécurité des données, notre partenaire ICOSNET qui gère la partie hébergement. Nous nous occupons du développement informatique et de tout ce qui est software. Après un travail de longue haleine, nous avons pu créer un pilote il y a deux mois, en partenariat avec la banque privée qui nous permet de tester le produit dans des conditions réelles et avec de vrais utilisateurs. Au jour d’aujourd’hui, nous avons 50 personnes qui ont souscrit à ce service et qui l’utilisent au quotidien. Les tests vont durer environ 2 mois, le temps que la banque finalise toute la paperasse avec la Banque d’Algérie et de travailler sur leurs communications. A partir de là, nous commencerons une deuxième étape qui est l’affiliation des banques et des facturiers, l’idée étant d’avoir dans une plateforme le maximum de banques pour toucher le maximum de population et le maximum de facturiers.

Quelle est la particularité du marché algérien sur le M-Banking ?

Dans ce domaine, il y a deux particularités. La première est réglementaire et n’est pas des moindres, car les solutions de M-Banking ne peuvent pas être déployées hors banques agréées. La seconde est que, dans toutes les autres approches, si l’on prend l’exemple de nos voisins, les modèles où l’on a un compte virtuel que l’on alimente ne peuvent être appliqués seulement chez une banque. Ce principe est d’ailleurs absurde. Imaginez aller chez votre banque et créer un compte virtuel alors que vous avez déjà un compte. D’autre part, les banques n’avaient pas intérêt à développer ce genre de solution car on tuait une autre prestation qui mettrait fin au business des banques.


Vous partagez l’avis de l’Etat qui hésite à se lancer ?

Quand l’Algérie dit “je n’ai pas envie de lancer du n’importe quoi, je veux m’assurer avant que cela fonctionne bien”, elle a raison. Il faut se mettre du côté de la réglementation. Demain, lorsque vous souscrirez à un circuit bancaire avec des milliards et que vous n’aurez aucune idée d’où ils viennent et où ils partent, ça sera inquiétant ! Je suis donc de l’avis de l’Algérie sur la réglementation qui prône le fait qu’on est pour la modernisation mais pas à n’importe quel prix.

Votre objectif est donc de pouvoir aider à promouvoir l’inclusion financière en Algérie ?

Bien sûr que oui. C’est tout à l’avantage de l’Etat mais aussi pour nous. Car il ne faut pas se voiler la face, nous avons un objectif de business. Nous aspirons à être dans le TOP 3 des sociétés de développement informatique en Algérie qui font travailler des jeunes issus de l’université et qui se positionnent comme un partenaire de qualité.

Quels sont les principaux challenges de Kepler dans un proche avenir ?

Très bonne question. Nous avons fait récemment cet exercice autour d’un après-midi pizza, l’objectif étant que chacun donne sa vision de Kepler dans quelques années. Chacun a donné une approche différente et nous nous sommes retrouvés au final avec plus ou moins la même vision pour tout le monde : nous agrandir et être une entreprise employant une cinquantaine d’ingénieurs. En d’autre termes, un vrai débouché pour les universités algériennes. D’autre part, nous avons l’ambition de rester leader sur le SMS professionnel en Algérie. Nous le sommes déjà et nous voulons faire évoluer nos solutions informatiques et être leader en Algérie et exportateur de solutions à travers le monde.

Un mot pour conclure.

Je veux faire passer un message aux jeunes Algériens : lancez-vous ! N’attendez pas ! Sachez que vous n’aurez jamais toutes les conditions nécessaires. Si j’avais attendu les bonnes conditions, je ne serais jamais là où je suis aujourd’hui. L’approche est simple: vous avez une idée, mettez-là sur papier, étudiez-là sérieusement avec des personnes qualifiées et lancez-vous !