Call centers : de l’Eldorado à la réalité

Numéro dossier: 112

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 “Au boulot, je m’appelle Gabrielle”

Imene travaille dans un call center étranger installé à Alger. Etudiante, ce travail lui permet d’avoir de l’argent de poche tout en se faisant une petite expérience. Recrutée suite à une annonce sur le Net, elle touche dans les 40 000 dinars par mois et le transport est assuré. Une opportunité qu’Imene ne regrette pas d’avoir saisie, tellement elle se sent gagnante sur tous les plans. Parfaite francophone, Imene a été recrutée pour travailler sur une plateforme en Offshore. En gros, elle appelle au téléphone des personnes qui habitent dans d’autres pays, notamment en France, sans jamais leur dire qu’elle se trouve à Alger.

Vendre des forfaits de téléphonie, des assurances, ou convaincre ses vis-à-vis de faire un don pour une association, Imene peut faire ces 3 choses différentes en un seul mois. “ C’est selon le client ”, dit-elle. Seule chose qui ne change pas dans son travail, son nom. Gabrielle. Car dès qu’elle met son casque sur la tête, la jeune brune, que ses amis appellent affectueusement Manou, se transforme en Gabrielle. Un prénom qui lui est imposé par sa direction afin que les personnes qu’elle a au bout du fil ne soupçonnent rien de son emplacement. Cela les rassureraient plus de la savoir tout prés de chez eux, pour leur vendre des choses ou leur demander des informations personnelles.

Cependant, Imene ne considère pas son travail comme étant facile tous les jours. “ Parfois, c’est horrible ” , dit-elle. Passer toute la journée à répondre au téléphone peut en effet s’avérer difficile les jours de fatigue morale ou physique. Il faut sans cesse rester aimable, correcte, et souriante (même au téléphone) y compris en discussion avec des personnes désagréables. Et cerise sur le gâteau, ce genre de métier est soumis à la pression. Il faut passer un maximum d’appels en un minimum de temps. Un rythme que beaucoup n’arrivent pas à tenir.


Ce qui se fait ailleurs

Et encore, Imene n’a pas touché à tout dans son entreprise. Car en Europe et surtout en France, les domaines d’activités qui font appel aux call centers sont aussi divers que variés et nombreux. Vous appelez la mairie de Paris, c’est un call center qui vous répondra. Une salle de théâtre, ce sera surement un employé marocain au bout du fil. Une société d’assurance ? idem. Même les hôpitaux et autres centres de santé font parfois appel aux call centers. Ces organismes traiteront votre demande dans la mesure du possible, répondront à la plupart de vos interrogations et transmettront messages et doléances aux établissements concernés.

Ces derniers se concentreront alors sur leurs cœurs de métier. Un moyen très efficace de réduire les coûts de fonctionnement, tout en restant fiables et réactifs. Et un remède miracle pour les administrations algériennes dont les numéros ne fonctionnent que rarement. Dans un pays où il vous est impossible de contacter une salle de spectacle, un hôpital public, ou une mairie, les call centers pourraient régler le problème.


Les entreprises publiques s’y mettent

C’est probablement ce qui a poussé les grandes entreprises publiques à créer leurs propres call centers. Le pionnier du domaine s’appelle SEAAL. L’entreprise qui gère l’eau dans la plupart des villes du pays s’est dotée d’un centre d’appel dès 2012. Il lui permet de recevoir les milliers d’appels journaliers de clients mécontents ou inquiets, et de répondre efficacement à leurs requêtes. Ces dernières sont alors collectées, filtrées, traitées et transférées aux services concernés. Ce qui fait gagner du temps à tout le monde et rassure les usagers. Du coup, l’une après l’autre, les entreprises publiques s’y mettent. Aujourd’hui, Algérie Télécom, Sonelgaz, et même le Ministère de l’intérieur s’y sont lancés.


Maroc, l’exemple à suivre

Avec 70% des call centers français délocalisés chez lui, le Maroc tire son épingle du jeu dans le marché des centres d’appel. Principale terre d’accueil des call centers francophones, le royaume a réussi en quelques années à faire du pays l’eldorado de cette activité. Alors que l’Algérie tourne le dos à ce marché rémunérateur et fortement pourvoyeur en emploi, le Maroc a flairé le bon filon faisant de l’installation des call centers francophones sur son sol une priorité. Résultat, ce ne sont pas moins de 85 millions d’euros qui ont été générés par cette activité en 2004, sans parler des emplois créés. Mieux, l’activité a fait tache d’huile, et des centres d’appel locaux ouvrent un peu partout, créant une dynamique économique sans précédent.

Une chose rendue possible grâce à l’implication sans faille des autorités locales, conscientes des avantages à tirer du développement des call centers au Maroc. En effet, au sein du royaume, les centres d’appel bénéficient d’un accompagnement stratégique qui les pousse à se développer. Soumis à une énorme redevance, une grosse ponction sur le chiffre d’affaire et une autorisation chez nous, la création de call centers au Maroc est considérée comme une activité à l’export. Non seulement encouragés, ils sont exonérés d’impôts sur les bénéfices pendant cinq ans, ce qui leur permet d’être très compétitifs. Et ce n’est pas par hasard que la plupart des délocalisations de centres d’appel francophones européens finissent actuellement dans ce pays. Un exemple que l’Algérie devrait suivre de très près...