L'Algérie, un pays avec une administration déconnectée

Numéro dossier: 87

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Plusieurs spécialistes s’accordent à dire que l’Algérie n’a pas vraiment réussi à rentrer dans l’ère des TIC. Le seul constat de la situation actuelle de nos administrations qui rencontrent plusieurs difficultés à faire face aux défis de la nouvelle ère imposée par les TIC est évocateur. Dresser le bilan de l’e-administration en Algérie ne peut se faire sans se poser un certain nombre de questions : où en sommes-nous en matière de développement des TIC et de la transition numérique dans nos administrations ? Pourquoi le citoyen algérien n’arrive pas encore à placer sa confiance en tout ce qui est .DZ ? Et pourquoi nos administrations semblent se refermer sur elles-mêmes au lieu d’opter pour l’informatisation ?


Comment expliquer le retard de l’administration électronique en Algérie ? Pourquoi les Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) ne sont pas utilisées à bon escient par nos administrations publiques ? Au niveau des APC, mairies, des bureaux de poste, les succursales d’Algérie Télécom, au niveau des sièges des ministères, des daïras, rares sont les institutions qui proposent un contenu numérique actualisé ou qui rendent les services publics plus accessibles à leurs usagers et à améliorer le fonctionnement interne de leurs réseaux intranet.

L’administration électronique peut se développer dans tout type d'administration ou de service public, en contact avec le public. Elle se caractérise par l'emploi de technologies de l'information et de la communication visant à améliorer les processus, la communication entre usagers et administrations ou entre administrations et l'efficacité de l'administration, que ce soit en termes de délais, de qualité, ou de productivité des agents publics.

L’e-gouvernance, une notion encore méconnue

Malheureusement, chez nous en Algérie, les supports de l’e-administration sont loin d’être développés. La situation bloque à plusieurs niveaux. Pour preuve, l’Algérie est donc à la traîne en matière d’e-gouvernement. D’ailleurs, le dernier classement mondial des technologies de l’information et de la communication publié par le World Economic Forum (WEF) affirme que l’Algérie a perdu 13 points par rapport à l’année 2012 durant laquelle elle avait occupé le 118ème rang.

Il faut dire que par rapport à ce qui se fait dans les pays étrangers, l’e-gouvernement censé renforcer la communication et la cohérence intersection n’est pas très développé en Algérie. On a même l’impression d’être déconnecté du monde entier quand on se rend dans une APC et qu’on ne parvient même pas à retirer son extrait de naissance rapidement.

En février dernier, la Banque Africaine de Développement (BAD) a organisé un atelier régional consacré à l’e-gouvernement en collaboration avec le ministère de la Poste et des Technologies de l'Information et de la Communication et l'Agence nationale de l'informatique de la Corée du Sud. En marge des travaux de cet atelier, la ministre de la Poste et des TIC, Zohra Derdouri, a insisté sur l’importance de mettre en place un projet e-gouvernement qui s'inscrit dans une démarche globale d'application des procédures administratives.

La Ministre, reconnaissant le net recul de l’Algérie dans ce domaine par rapport à plusieurs pays, a mis l’accent sur l’intérêt de l’Etat algérien à adopter ce projet afin d’améliorer le fonctionnement des services publics à tous les niveaux, notamment au bénéfice des citoyens par la mise en place de ce projet et la disposition de formulaires, de déclarations en ligne, etc.

Et pour propulser ce projet de modernisation de notre pays, une première e-commune en Algérie a été inaugurée en mars 2011 au siège de l'annexe administrative de la cité des 500-Logements de Batna. Dans cette commune, les citoyens ont la chance de retirer leur acte de naissance de type 12-S, établi en quelques secondes au niveau d'un guichet électronique. Une première à l’époque, notamment dans une annexe. Cette commune pilote à l’époque pouvait même délivrer des actes de décès et de mariage, sans que les clients aient à se déplacer à l’APC mère.


 

Dar el Beida, une commune qui baigne dans l’ère du numérique

L’APC de Dar el Beida est parmi les rares APC d’Alger où, quand vous y pénétrez, vous n’êtes pas abasourdi par le tableau classique d’une chaîne d’êtres humains, éreintés, épuisés et nerveux qui patientent dans une longue file interminable face à un agent de guichet extrêmement hors de lui. La commune de Dar el Beida est bel et bien informatisée.

Son APC est même parmi les plus connectées aux TIC et ses citoyens sont les plus chanceux car leur service d’état civil est totalement informatisé. En effet, dans cette APC, il suffit d’un clic pour pouvoir retirer ses différents documents administratifs d’état civil. Plus la peine de déposer et de revenir pour récupérer sa paperasse. Plus besoin de languir interminablement au milieu d’une foule qui s’impatiente. La mairie de Dar El Beida s’est mise au diapason de l’informatisation en intégrant les TIC dans son quotidien. Le principe d’e-commune fonctionne parfaitement bien dans cette APC et les citoyens en sont heureux et satisfaits.

A l’intérieur de cette APC, les agents de guichet ne remplissent plus les formulaires à l’aide d’un stylo, mais travaillent avec un système informatisé pour remettre au citoyen tous les documents d'état civil qu’il demande. Le problème du fameux extrait de naissance n°12 était le premier à être résolu au niveau de cette commune.

Ce document original exigé dans plusieurs dossiers était un véritable casse-tête pour les employés de cette APC et pour les clients. Ces derniers devaient déposer le matin, et revenir l’après-midi ou la journée d’après pour récupérer leur document. Désormais, le S12 se délivre en quelques secondes grâce à l’informatisation du système de l’APC.

Si l’APC de Dar El Beida est un exemple dans l’introduction des TIC dans l’administration, c’est grâce à ses responsables qui ont introduit le processus de l’informatisation en 1997 avec l’introduction des données et des logiciels. Les informaticiens de cette APC ont veillé à la mise en place d’une administration électronique efficace et efficiente. Au grand bonheur des citoyens de cette mairie, l’usage des TIC a rendu plusieurs autres démarches administratives possibles, telles que demander ou envoyer par mail des documents de l’état civil pour les citoyens algériens résidants à Alger ou à l’étranger.

Cependant, cette procédure n’est pas encore appliquée étant donné qu’elle n’est pas encore autorisée sur le plan juridique. C’est donc l’absence de textes juridiques permettant l'envoi par mail des documents d'état civil qui freine cette démarche au niveau de plusieurs APC.

Une journée dans une autre APC privée de l’administration électronique

Il suffit de pénétrer à l’intérieur de l’Assemblée Populaire Communale d'une commune à l'Est d'Alger pour se rendre compte à quel point en Algérie, nous sommes encore très loin de l’administration électronique censée abolir les obstacles de temps et de distance pour offrir aux citoyens l'information et les services, quand et où ils le souhaitent et sous une forme accessible.

Malheureusement, dans cette APC, dès que vous y pénétrez le matin, vous êtes accueillis par une foule de gens qui attendent leur tour pour récupérer un document administratif. Les agents de guichets sont dépassés face aux doléances des citoyens qui réclament plus de rapidité et plus d’efficacité. A l’ère des TIC et au moment où plusieurs pays dans le monde jouissent d’une administration électronique très performante, dans certaines mairies de la capitale, des citoyens sont contraints de sacrifier des heures pour récupérer un extrait de naissance, une résidence ou une fiche familiale.

« Même pour légaliser un document, on est contraint d’attendre que l’agent du guichet daigne se montrer plus rapide et efficace », affirme en colère ce quinquagénaire. « Ils sont incapables de faire face aux citoyens. On n’a pas l’impression d’être dans l’ère des technologies de l’information et de la communication. En plus d’être mal accueilli par certains guichetiers, les prestations de l’état civil sont encore insuffisantes », ajoute cette femme trentenaire venue récupérer des résidences pour les dossiers AADL de ses trois enfants.

Des «oufs» d’impatience, des regards hagards, des visages mécontents, colériques et fatigués par l’attente, voilà le tableau quotidien de certaines APC algériennes qui peignent encore à introduire l’informatisation du système dans leur administration.


« Nous accusons un grave retard dans la modernisation de l’administration locale. Nous sommes encore très loin de l’administration électronique et je crois que cela est du en grande partie à une sorte de blocage mental. Nous sommes plus à l’aise avec les méthodes traditionnelles plus lentes qu’avec les ordinateurs et les systèmes informatiques », nous a déclaré le responsable de l’APC de Gué de Constantine. Il n’est pas sans constater que l’informatisation dans les communes de la capitale n’est pas systématisée.

Si certaines mairies, comme celle de Dar el Beida ou de Sidi M’hamed, sont mieux organisées et plus connectées aux TIC, d’autres APC à Alger n’ont même pas leur propre site web. Nous ne pouvons donc pas évoquer une administration électronique structurée et systématisée en Algérie.

Il existe une très faible connexion entre la collectivité locale et les citoyens de la commune en raison de la défaillance de l’e-administration. Il est vraiment déplorable de constater qu’au moment où certains pays comme la France sont parvenus à fonder des entreprises en ligne grâce à l’administration électronique, et après avoir opté pour l'administration électronique en vue d'offrir les services existants en ligne et, qui plus est, à avoir développé de nouveaux services accessibles sur Internet, l’Algérie demeure à la traîne.

Le gouvernement algérien a encore un long chemin à parcourir avant de parvenir à simplifier les rapports entre citoyens et administrations et développer la communication par voie électronique.


 

Le site de l’AADL envahi par les internautes

Autre exemple, autre expérience. N’est-il pas incompréhensible qu’un site institutionnel comme celui de l’AADL plante laissant des milliers de souscripteurs impatients et en colère ? Cela n’arrive qu’en Algérie à l’ère des technologies de l’information et de la communication où des dispositions ne sont pas prises pour prendre en charge les inscriptions en ligne des souscripteurs.

En effet, un énorme tapage s’est produit dernièrement quand le site de l’AADL a été très vite saturé. Certes, certains spécialistes estiment que cela est un problème classique qui n’est pas propre à l’Algérie, mais eu égard au retard que l’Algérie accuse en matière d’e-gouvernement, cela laisse à se poser la question sur l’incompétence de mettre en ligne un site qui fonctionne et qui ne bugge pas. Plusieurs citoyens ont, par ailleurs, relevé une bizarrerie inadmissible.

En plus de la plateforme du site qui ressemble beaucoup plus à une page tellement mal faite du point de vue du design, le site ne serait fonctionnel que pendant seulement dix heures. Selon certains souscripteurs, il était efficace de 8 heures jusqu’à 18 heures, alors qu’Internet est disponible 24/24h et 7 jours sur 7. Comment expliquer cela ?

« Même Internet est soumis à la bureaucratie en Algérie. J’ai du patienter plus de cinq jours pour pouvoir m’inscrire sur le site », déclare Hamid, 26 ans. De son côté, Lila affirme avoir eu accès sans difficulté aucune au site de l’AADL. « Pour me connecter sur un site algérien, j’attends toujours minuit. Je sais que pendant la journée cela est impossible vu l’affluence des souscripteurs », déclare-t-elle.

Il faut dire que dès le lancement des souscriptions pour l’acquisition d’un logement sous la formule location-vente de l’AADL, exclusivement sur le Net, ça a tourné au clic-clic sans fin désarmant pour les impatients. Dès les premières heures de sa mise en ligne, le site web de l’AADL (inscription.aadl.dz) a été inaccessible pour de nombreux Algériens.


Les plus persévérants ont eu la chance de s’inscrire en ligne et de télécharger un accusé de réception ainsi que les conditions d’éligibilité, les pièces à fournir et le modèle de déclaration sur l’honneur, indispensable pour le dossier de l’acquisition d’un logement. Ghania, qui s’est chargée de remplir le dossier de quatre personnes, se rappelle du casse-tête que cette épreuve a été.

« Franchement, c’était un calvaire. Si pour ma part, je suis arrivée à m’inscrire facilement, cela n’a pas été le cas pour mes trois sœurs. Pour inscrire leurs demandes de souscription et recevoir le numéro d’enregistrement et le mot de passe spécifique à chacune, j’ai du attendre une semaine », avoue-t-elle.

Même si les citoyens insatisfaits du site web de l’AADL ont fait part de leurs soucis et de la saturation du site, le ministère de l’Habitat et de l’urbanisme n’a pas reconnu cette défaillance puisqu’il a affiché, rien que pour la première journée, des chiffres élevés. Selon le ministère, 84 215 demandes ont été enregistrées au premier jour de l'opération de souscription en ligne.

Toutefois, il faut dire que ce ministère a relevé le défi en recourant à l’usage des TIC pour faciliter les démarches aux citoyens et leur éviter les désagréments liés aux déplacements au siège de l’agence. L’AADL aurait juste du se préparer à un tel rush et prendre des mesures sérieuses pour répondre à la demande des souscripteurs. Le cas AADL prouve qu’en Algérie, nous sommes encore très loin d’utiliser à bon escient les solutions numériques.

Cela est certainement du à notre environnement encore mal adapté au développement des TIC. En attendant que l’administration de l’AADL prenne attache avec les souscripteurs via leur compte pour le premier versement à partir du mois de mai, espérons que cette procédure se déroule dans de bonnes conditions.

Impôts : la déclaration fiscale online, une solution pour aller plus vite

Fort heureusement, en Algérie, quelques institutions publiques tentent de donner l’exemple. En mai dernier, la Direction Générale des Impôts a introduit une nouvelle solution très efficace pour faciliter les démarches des contribuables et ne plus devoir être assailli par des foules de personnes impatientes. La DGI a opté pour l’introduction d’une solution qui rentre dans le cadre de l’e-administration.

En effet, elle a mis en ligne une déclaration fiscale visant à permettre aux différents contribuables de déclarer leur situation fiscale sans être contraints de se déplacer aux services fiscaux. L’introduction de cette solution a en effet rendu plus accessible les procédures administratives des contribuables qui ne sont plus contraints de se déplacer jusqu’à l’administration.

Par cette disposition électronique très efficace, les opérateurs économiques sont enfin à l’abri des files d’attentes, de l’impolitesse de certains guichetiers et des lourdeurs bureaucratiques très fréquentes dans l’administration algérienne. Grâce à cette solution en ligne, les contribuables peuvent retirer plusieurs imprimés nécessaires sans se déplacer.

Il s’agit entre autres de la déclaration tenant lieu de bordereau avis de versement (le G50), des déclarations annuelles relatives au BIC-IRG (Bénéfice industriel et commercial-Impôt sur le revenu global) relatif au régime du réel, à la TAP (G11) et à l’IBS (G4), les justificatifs du crédit d’impôt (G5), la déclaration d’existence (G8) ainsi que la déclaration du chiffre d’affaires de l’Imprimé fiscal unique (IFU - G12), détaille la DGI, la déclaration BNC relative au régime de la déclaration contrôlée et la TAP (G13), la déclaration tenant lieu de bordereau avis de versement à l’Administration publique (G50A).

Sont également téléchargeables sur le site web de la DGI d’autres imprimés, tels que le bordereau avis de versement des revenus fonciers (G51), la déclaration annuelle des traitements et émoluments divers payés (G29) ainsi que l’état détaillé des clients (G3) seront incessamment disponibles au format interactif, a avancé la même source.

La télédéclaration uniquement pour les gros contribuables

Seuls les gros contribuables ont la possibilité de bénéficier du système de la télédéclaration qui est un moyen électronique de transmission des déclarations des salaires, mis gratuitement à la disposition des entreprises adhérentes. Ce système, dont le but est de faciliter la communication des données sans remplacer les bordereaux sous format papier qui seuls font foi, ne s’applique qu’aux gros contribuables relevant de la Direction des Grandes Entreprises (DGE) ou des Centres Des Impôts (CDI) opérationnels et implantés dans diverses régions du pays.

La télé-procédure devrait s’étendre aux autres catégories de contribuables à l’avenir. Le site de la DGI est actuellement opérationnel et vous permet de télécharger tous les imprimés dont vous avez besoin : http://www.mfdgi.gov.dz/.

Comme quoi, tout n’est pas noir dans nos administrations et quelques lueurs d’espoir nous permettent de demeurer encore optimistes.