Du virtuel au réel : Internet, version « love »

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Rencontres sur le Net : un phénomène de société en Algérie


Même s’il existe en Algérie une certaine appréhension des utilisateurs vis-à-vis de la grande Toile, Internet trouve une résonance auprès des algériens et leur offre des horizons nouveaux qui leurs permettent de se connecter et d’en faire différents usages. Par un simple « clic », ils se trouvent propulsés dans une dynamique où ils peuvent se connecter dans différents sites que ce soit pour faire des recherches, pour accéder aux sites de partage et de réseaux sociaux ou pour tchatter.

A travers le Net, les individus se connectent sans avoir peur du « qu’en dira-t-on » car ils ont la possibilité de masquer leur identité, de la forger ou d’en créer une nouvelle, sans que cela ne soit mal interprété par leur entourage. Ils peuvent se connecter pour discuter avec autrui et partagent avec leurs proches cette nouvelle expérience qui permet à certains de rompre avec le sentiment de frustration causé par l’isolement du pays de la scène internationale depuis les années de crise. Ils peuvent découvrir et utiliser différentes interfaces (tchat, webchat, réseaux sociaux,…) qui permettent d’obtenir l’interactivité qui leur convient et consacrent temps et argent pour rencontrer d’autres personnes avec qui ils peuvent aborder des sujets qui les préoccupent à l’abri du regard d’une société « hantée » par l’interdit. Pour eux, le virtuel ne remplace pas le réel, mais il a l’avantage de leur permettre de faire ce qui peut être réprouvé par la société.

Certes, il y a dans les comportements des internautes des traces très présentes du lien social qui donne l’impression qu’ils sont parfois met’assbine « liés au social » pour reprendre la formule Khaldounienne, surtout lorsqu’ils réagissent quand les valeurs auxquelles ils sont attachés sont affectées. Les contradictions que nous pouvons constater parfois sont le résultat certain de la recherche du sens de sa propre culture pour faire face à cette modernité dans une société fragilisée par les années de crise. Le Net permet aux individus de se connecter loin du regard d’autrui, ce qui peut constituer pour certains une opportunité à saisir pour franchir les limites que la morale réprouve. Ils peuvent exploiter une forme de liberté qu’ils découvrent sur le Net en abordant les sujets généralement tabous tels que le sexe par exemple car, depuis quelques années déjà, Internet est associé aux sites pornographiques qui attirent beaucoup d’internautes séduits par la possibilité d’en parler sans être identifiés. Ils ont la possibilité de se livrer aux divers jeux que l’anonymat permet sans que leur intégrité physique ne soit atteinte, mais tous ne considèrent pas que le virtuel se résume à un simple amusement.

Pour certains, le Net peut constituer une opportunité à saisir, pour changer de comportement ou pour avoir des contacts, alors que pour d’autres il n’en est rien. L’anonymat sur Internet constitue pour les individus un ingrédient important pour contourner les formes de contrainte sociale et les normes de contrôle qui fixent les limites de ce qu’ils peuvent faire et de ce qu’ils ne doivent pas faire. Les individus intègrent dans leurs actions des significations qui se référent à l’espace dans lequel ils vivent. Ils sont liés au groupe dans leur quotidien et s’en éloignent pendant leur connexion pour accoster d’autres personnes dans le virtuel qui leur permet des possibilités parfois «impensables » dans le réel.

La rencontre : du virtuel au réel

Afin d’illustrer ces situations, nous proposons de citer quelques témoignages de tchatteurs que nous avons rencontré. Pour ce faire, des entretiens semi dirigés ont été organisés avec 19 tchatteuses et 20 tchatteurs dans 21 cybercafés de la capitale Alger. Vous verrez que lorsque les tchatteurs entrent en contact avec des correspondants inconnus, il leur est impossible de savoir si ces derniers ont les même intentions qu’eux. Un processus d’échanges s’engage et détermine la suite de la relation qui peut s’interrompre ou mener à la rencontre et devenir une relation d’amitié, une relation d’amour ou autre. Grâce à l’anonymat que procure le Net, la différence d’âge, le niveau d’études, l’occupation et la situation sociale des uns et des autres ne sont plus problématiques en soi, ce qui conduit des profils « parfois » opposés d’entrer en contact,
alors qu’il est d’usage dans la pratique de tous les jours que les individus gardent leurs distances. Un algérien peut parler avec une étrangère et une fille de l’est du pays peut parler avec un homme de l’ouest sans que la distance qui les sépare ne représente un frein à la relation.

Cette similitude dans les intentions est ce que nous définissons par la « synchronisation » qui signifie que des individus ont des intentions similaires, se rencontrent sur le Net et discutent ensemble, à l’image des gestes sportifs qui, lorsqu’ils sont bien exécutés, donnent lieu à un jeu d’équipe ou des paroles de chansons harmonieusement chantées qui sonnent aux rythmes des musiques,etc. Cette synchronisation sous-entend que les différentes parties sont en « harmonie » dans le jeu ou dans l’action, ce qui donne parfois lieu à des amitiés sérieuses, à des relations amoureuses et même à des mariages.

Farida, étudiante : « Dernièrement, j’ai rencontré une personne sur le Net. Quand je l’ai rencontré, il a flashé sur ma cousine ! C’est rare de trouver des gens biens sur le Net ».

Souad, la vingtaine : « Une fois, j’ai accepté un rendez-vous, il y a de cela trois ans. Bien sûr, le rendez-vous n’a pas été fixé au même jour. C’était trois mois après avoir discuté avec la personne ».

Karim, gérant de cybercafé : « Une fille d’Oran que j’ai rencontré sur Internet est venue ici sur Alger et je l’ai rencontré. On n’a fait qu’une sortie tous les deux mais je n’ai pas gardé le contact avec elle. Elle est donc retournée tranquillement à Oran ».

Amine, la trentaine : « Les personnes que j’ai rencontré sur Internet ?! Cela dépend, c’est discret et la plupart du temps, on fixe l’endroit tous les deux…on se décrit…on parle de tous les sujets ».

Mounir, étudiant : « J’ai connu une algérienne sur le Net. On s’est mis d’accord pour se voir et, finalement, il s’est avéré qu’on se connaissait déjà ! ».

Il arrive pourtant que ces rencontres ne correspondent pas aux attentes des tchatteurs qui s’investissent dans des relations avec leurs contacts et sont déçus à la suite de leur rencontre comme c’est le cas avec ces témoignages :

Nadia, étudiante : « J’ai fais deux rencontres auparavant, mais j’ai été déçue. J’ai discuté avec une personne pendant quatre mois et après le rendez-vous, ce n’était pas bon ! L’autre personne, je n’ai aimé ni son physique ni sa façon de penser ».

Lamia, étudiante : « J’ai été déçue par le physique du mec avec qui je discutais ».

Lamine, gérant de cybercafé : « J’ai rencontré via Internet une fille. C’était une étudiante, mais ça n’a pas duré ».

Samir, la vingtaine : « Pour un ami, ce n’était pas la bonne surprise, loin de là ! Quand il a vu la fille, il s’est sauvé en courant («ghir chafha hreb!!!») ».

Djamel, étudiant : « La première fois, j’ai été déçu. Elle n’était pas celle que j’imaginais. Quand on discutait, elle parlait de sa taille style mannequin mais quand je l’ai rencontré, ce n’était pas du tout mon style, surtout physiquement ».

Quel regard poser sur ces nouvelles pratiques ?

Ce tour d’horizon à propos d’Internet nous pousse donc à nous poser la question suivante : le système social en Algérie est-il plus contraignant que dans les autres sociétés pour y légitimer une approche qui s’appuie sur la contrainte sociale? Répondre par l’affirmative à cette question, c’est ignorer que les valeurs de la société ne sont pas rigides.

En effet, on peut comprendre que la nouveauté, telle que le numérique, peut affecter le quotidien au point de susciter l’intérêt des utilisateurs. Le rapport des individus avec Internet est un élément très important à étudier pour observer le climat social dans lequel ils vivent par rapport aux dimensions sociales et culturelles de l’Algérie. Les individus entrent en contact avec Internet, symbole d’une modernité «transmise » et réagissent en conséquence en lui associant les significations, les symboles et les valeurs qui correspondent à leurs repères. Internet constitue dans ce sens une lunette d’observation de la société, car il représente un espace incertain qui échappe aux règles sociales et où les acteurs tentent d’accroître une liberté d’action que le lien social tente de contrôler. Au contact du Net, les acteurs ont la possibilité de ne plus être passifs et peuvent ainsi définir leur propre manière de consommer et réagir en conséquence.   (suite p.5)