Les nouvelles technologies au service de l’administration : entre constat et espoirs...

Numéro dossier: 103

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A la traîne. C’est malheureusement le constat fait de l’utilisation des TIC par l’administration algérienne. Alors que nos voisins amorcent un développement économique, scientifique et culturel, tiré vers le haut par l’utilisation des TIC, à tous les niveaux de leurs sociétés respectives, en Algérie, il faudra repasser.

 

Les TIC, au lieu d’être généralisées, continuent à constituer l’exception dans un pays qui en a pourtant plus que besoin. Certes des initiatives ici et là ont été tentées notamment par certains départements ministériels, mais force est de constater que le retard à rattraper est gargantuesque. Pourtant, tous les indicateurs laissent croire que notre pays peut facilement rentrer dans l’ère du numérique. Une population jeune, curieuse, formée et hyper connectée. Un déploiement des outils informatiques et de la téléphonie plus qu’acceptables. Un accaparement des TIC assez raisonnable. Des compétences en veux-tu, en voilà. Des universités et centres de formations à la pointe, et des investissements colossaux. Ne manquerait qu’un petit coup de pouce.

Oui mais voilà, ça ne suffit pas. A quelques exceptions près, l’algérien lambda continue à se déplacer pour des procédures qu’on peut facilement mener à distance dans un pays continent. Les tonnes de papiers que constituent nos différents dossiers administratifs n’ont pas laissé place aux documents numériques. Le déploiement d’Internet reste faible, et alors que la 3G explose en termes de popularité, ses prix demeurent prohibitifs. Pourquoi l’Algérie ne saute pas le pas pour enfin rentrer dans
une ère numérique à part entière ? Pourquoi n’entreprend-elle pas des mesures qui ne peuvent que lui être bénéfiques ? Pourquoi ne pas benchmarker les nombreux exemples qui nous entourent ? Peut-être est-ce une question de volonté.

Dans un pays hyper centralisé, les décisions venant d’en haut mettent plus de temps à être retranscrites sur le terrain. Des milliers de projets en souffrance s’en plaignent, et le constat qu’on peut en faire est déplorable. Mais en contrepartie, un ordre donné pour changer les choses peut donner lieu à une rapidité édifiante dans la prise de mesures. La venue récente d’une ministre des TIC jeune changera-t-elle les choses ? Madame Houda-Imane Feraoun est-elle en mission pour faire entrer l’Algérie dans l’ère numérique ? Wait & See.


PASSEPORT BIOMÉTRIQUE, UN MAL POUR UN BIEN

Malgré cela, des efforts ont été faits. La génération du numérique poussant, quelques essais initiés par certains départements ministériels ont déjà fait leurs preuves, malgré leur nombre restreint. Il y va ainsi du passeport et de la carte d’identité biométriques. Lorsque l’obligation d’avoir un passeport biométrique a été instituée en 2010, l’Algérie s’est trouvée obligée de moderniser les documents de ses concitoyens, un peu contre son gré. A reculons, les autorités ont entamé l’édification de ce nouveau « papier » qui sollicitait de nouveaux matériels, des procédures modernes non maîtrisées, et donc des investissements non prévus. Mais c’était juste le temps de saisir l’importance d’un tel document pour un pays aussi regardant sur sa sécurité intérieure que le nôtre. Dans la foulée, la carte d’identité biométrique est également prévue et voilà les concitoyens algériens bientôt dotés de documents ultramodernes, et infalsifiables.

Lorsqu’en 2014 Gemalto, une entreprise franco-hollandaise, est choisie par l’hôtel des monnaies pour la confection de ces documents, la machine est lancée. Reste à trouver un moyen de gérer les flux de demandeurs, de plus en plus croissant avec l’amélioration du niveau de vie des Algériens. Et là aussi les autorités innovent. Un passeport en un mois, c’est le défi que se lancent dès lors les daïras algériennes. Les citoyens ne sont soumis à l’obligation de présence que lors du dépôt et du retrait, le tout sur rendez-vous. Un SMS est ensuite envoyé aux nouveaux détenteurs. Des procédures très facilitées qui ont fait le bonheur des usagers… jusqu’à l’annonce de l’augmentation du prix du timbre fiscal, nécessaire à l’obtention du passeport.


LA NUMÉRISATION DE L’ETAT CIVIL, UNE RÉVOLUTION

Au niveau local, c’est une décision politique qui a fait la différence. A pas comptés, les autorités décident en 2013 de numériser les documents d’état civil et de disposer le tout dans un seul registre national. Maintes fois reportée, personne n’avait alors idée de la révolution qu’entreprenait l’administration algérienne à ce moment-là. Cette nouvelle façon de faire devait permettre à n’importe quel citoyen de retirer la plupart de ses papiers partout en Algérie, dans n’importe quelle mairie de n’importe quelle ville. Plus besoin de se déplacer vers leurs lieux de naissance pour se faire délivrer un acte de naissance n°12. Exit les erreurs d’écriture à la main, les noms illisibles, et autres erreurs manuelles.

L’administré pouvait se faire délivrer un acte de naissance par voie informatique, contenant un codebarre qui le distingue et assure son authenticité. Une révolution que les Algériens n’ont pas vu venir, peut-être lassés des promesses non tenues depuis des décennies par la tutelle. Mais voilà, 2 ans plus tard, on n’en croyait pas nos yeux. Des files d’attente beaucoup moins longues voire inexistantes en dehors des mairies des centres urbains, des déplacements inutiles abrogés, des procédures assouplies, un gain de temps énorme, du stress, de la fatigue, et de la colère en moins. La numérisation des documents de l’état civil a été bénéfique pour tout le monde. Selon les chiffres fournis par le ministère de l’intérieur, près de 56 800 000 de documents ont été numérisés, et l’opération se poursuit.


 FINI LE PAPIER CARBONE, BONJOUR LE PARTAGE DE DONNÉES

Techniquement, le ministère de l’intérieur a entrepris la numérisation de tous les documents d’état civil, et toutes les archives de toutes communes du pays ont été reliées par un serveur centralisé à Alger. Cette initiative a permis le partage des données entre localités et l’accès à celles-ci de n’importe quelle commune du pays. Des notions auxquelles la tutelle n’était pas préparée. Une mesure qui a mené l’administration algérienne dans une nouvelle ère, celle du numérique. Cela dit, la tâche n’a pas été facile. Commune par commune, le passage au numérique s’est fait graduellement sous le regard bienveillant du ministre de l’intérieur. Le premier responsable du secteur s’est maintes fois déplacé dans l’Algérie profonde pour mesurer l’état d’avancement de l’opération.

De Tizi Ouzou à Bouira en passant par Alger et bien d’autres villes du pays, toujours secondé par le directeur des libertés publiques et des affaires juridiques au ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales. C’est dire l’importance donnée à la campagne. D’ailleurs, la décision de passer à un registre national d’état civil a été prise en haut lieu. Ce n’est ni plus ni moins qu’au conseil des ministres que la décision a été entérinée d’instituer un registre national d’état civil informatisé et relié à toutes les communes et à tous les consulats d’Algérie. Une décision aux relents politiques comme il en faudrait plein d’autres.


DES UTILISATIONS MULTIPLES

Enfin la numérisation des documents d’état civil permet des utilisations multiples à tous les niveaux de l’Etat. En effet, le recensement des populations en devient un jeu d’enfants alors que les précédentes campagnes de ce type prenaient des mois de travail. Idem pour les erreurs qui peuvent en découler. De plus, la transcription en temps réel sur le registre de la commune de naissance des décès, des mariages, des divorces, rend l’accès à certaines données des plus faciles. Densité de la population, répartition par ville ou par sexe, par tranche d’âge, tout devient possible et facile. Des données d’une importance considérable notamment dans le cadre de politiques de planification : nombre d’écoles à construire par communes, nombre d’hôpitaux, universités, etc. Ajoutez à cela la sacrosainte lutte contre le trafic de papiers. L’informatisation l’a rendue des plus difficiles en minimisant l’intervention humaine.


AADL, JUSTICE, ÉDUCATION, COMMERCE : CES ADMINISTRATIONS QUI ONT CHOISI LE NUMÉRIQUE

Plusieurs administrations publiques, et pas des moindres, se sont tournées vers les TIC pour moderniser leurs services. C’est ce qu’on appelle l’effet domino. Le ministère de l’habitat, très sollicité en ce moment, a été l’un de ceux qui ont opté pour le tout numérique, avec des résultats plus que probants. On se souvient encore des longues files d’attente de souscripteurs au programme AADL, en 2001. De ces personnes accrochées à leurs dossiers des heures et des jours durant, dans l’espoir d’obtenir un logement. Des images choquantes qui avaient montré les limites de l’administration algérienne dans la gestion de projets d’envergure.

Qu’à cela ne tienne, en 2013, lorsque le ministère de l’habitat relance le programme, c’est via Internet que tout doit se faire. Des encarts publicitaires sont achetés dans les journaux pour expliquer les procédures, mais c’est sur Internet que les inscriptions se font. Même les dossiers papiers, censés être remis au niveau des centres mis à la disposition des citoyens par le ministère de l’habitat, sont envoyés par poste. Une manière de faire qui en a laissé plus d’un sceptique, mais force est de constater que le pari est en passe d’être remporté par le ministère de tutelle.

Plus de 300 000 inscrits, et très peu de déçus. Des procédures assouplies, un gain de temps et d’argent et une organisation plutôt correcte. Nous sommes loin de la catastrophe administrative qu’avait engendré le même programme en 2001, lorsque les pauvres citoyens avaient dû prendre des congés pour souscrire au programme.


 EDUCATION, LE BON ÉLÈVE

Un autre département ministériel s’est accaparé les TIC et ce, dès le début des années 2000. Il s’agit de l’éducation nationale. Quand les foyers algériens n’étaient pas encore tous dotés d’un ordinateur, qu’Internet n’était pas aussi déployé que de nos jours, que les cybercafés étaient encore les principaux lieux de connexion des Algériens, l’éducation nationale avait déjà publié résultats, procédures et informations sur le Net. On se rappelle encore du site de l’office des concours « ONEC » pris d’assaut à la veille de la publication des résultats du Bac.

Quelques années plus tard, c’est l’enseignement supérieur qui s’y met. Depuis quelques années, les inscriptions à l’université passent exclusivement par le Net. Fini la feuille blanche et le tableau à dix cases où il fallait mettre ses choix d’orientation. Exit le déplacement à l’université, les files d’attente, les questionnements, etc. Depuis que le ministère de l’enseignement supérieur s’est mis aux TIC, les choses sont beaucoup plus simples pour tout le monde. Le passage du lycée à l’université n’est plus un parcours du combattant, à condition d’avoir eu son examen.


COMMERCE, ÇA COMMENCE TIMIDEMENT

Depuis Juin 2014, le ministère du commerce a entrepris de délivrer des registres de commerce électroniques à tous les nouveaux commerçants ou créateurs d’entreprises. Ce précieux sésame, sans quoi aucun citoyen algérien ne peut créer d’entreprise, est doté d’un code crypté censé lutter contre les falsifications. En effet, le registre du commerce est l’un des documents les plus touchés par les problèmes de fraude et de falsification. Le nouveau document dans sa forme actuelle permet de suivre l’historique du commerçant, contrôler l’activité de ce dernier identifier les fraudeurs en quelques clics. Une aubaine pour les services de contrôle, mais aussi pour les commerçants eux-mêmes.

En effet, le registre de commerce électronique a aussi permis d’alléger certaines procédures, ce qui n’est pas pour déplaire aux usagers. Un succès dont se félicitent le ministère et les usagers. Près de 60 000 documents ont été délivrés les deux premiers mois de son lancement selon le ministère du commerce. 49 millions de dinars puisés en grande partie dans le Fonds d’appropriation des usages et du développement des technologies de l’information et de la communication (FAUDTIC) ont permis le lancement du registre de commerce électronique.


JUSTICE, L’AUTRE BON ÉLÈVE

On croyait que le ministère de la justice était l’un des départements les plus durs à réformer. Que nenni. Le département régalien a été l’un des premiers à introduire une dose de TIC dans ses services. D’abord en informatisant la plupart des documents délivrés aux concitoyens. A l’image du ministère de l’intérieur, le département de la justice a vite compris l’importance de la numérisation et du partage d’informations. Du coup, le département a vite entrepris de centraliser ses données et de les mettre à la portée de ses annexes. Sur le site du ministère de la justice, on peut commander son casier judiciaire, ou son certificat de nationalité. Des documents qu’il fallait jusque-là attendre des heures au niveau des tribunaux.

Mieux, récemment le ministère a annoncé la généralisation de la signature électronique. Un centre de personnalisation de la puce pour la signature électronique a été inauguré et 4 tribunaux pilotes ont été sélectionnés pour tester la signature électronique, à Tipasa, Ouargla, Sétif et Sidi Bel-Abbés dans le cadre de la facilitation de la délivrance des documents juridiques. La signature électronique permet d’échanger des documents électroniques entre les juridictions et les services de la police judiciaire. Les magistrats détenteurs de ces puces peuvent travailler à distance en signant tel ou tel


BEAUCOUP DE TENTATIVES, MAIS UN GAP ÉNORME À RATTRAPER

Malgré tout cela, l’Algérie reste à la traîne. Les initiatives prises pour mener le pays dans une ère numérique sont multiples mais très insuffisantes. Un gap énorme reste à rattraper, et au rythme où vont les choses, le pays pourrait bien rater le train de la modernité s’il ne s’y prenait pas dès maintenant. Certes un grand pas a été fait au niveau de l’état civil, de la justice et de certains secteurs précités, mais cela est loin de suffire. Rien qu’en comparaison avec nos voisins directs, l’Algérie fait figure de dernier de la classe. Une connexion internet pas au point, une qualité de service inexistante, une offre restreinte, et des administrations numérisées qui se comptent sur les doigts de la main.

Même le secteur privé est freiné par la tutelle, pour déployer de nouvelles offres à l’adresse des consommateurs, que ce soit dans les télécommunications, Internet, ou la géolocalisation. Les administrations algériennes restent malgré tout sclérosées et très résistantes aux changements. Les mails ne font toujours pas office de documents, et l’Algérie reste l’un des rares pays où les tutelles réclament des…fax.

Concernant l’e-gouvernement, n’en parlons même pas. La solidarité gouvernementale n’est pas au numérique. Aucune charte commune, ni vision collective. A l’heure où tous les gouvernants de par le monde communiquent via le Net avec leurs administrés, en Algérie, Internet fait figure de grand Satan. On le suspecte, on s’en méfie, on lui trouve des défauts mais rarement des avantages. Pourtant, le contexte est favorable en Algérie. La population a vite appréhendé les nouvelles technologies, supplantant des pays plus avancés dans le domaine. La demande est là, le besoin et l’envie également, mais les choses vont trop lentement. L’exploitation des TIC reste des plus restreintes, la volonté politique manquant.