E-Algérie 2013: Le projet se heurte à la réalité du terrain

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Désabusés. C’est l’adjectif qui convient le mieux pour décrire ce que ressentent aujourd’hui les opérateurs privés ayant été impliqués d’une manière ou d’une autre dans l’élaboration du plan E-Algérie 2013.

Les opérateurs spécialisés dans le domaine des TIC, regroupés en associations ou pas, avaient favorablement accueilli ce projet supposé mettre en place, et de façon durable, les bases d’une société de l’information. E-Algérie 2013, projet fort ambitieux, couché sur un document mis au point avec minutie risque pourtant de n’avoir que le mérite des vœux pieux mais irréalisables. Les professionnels du secteur semblent avoir perdu espoir quant à la concrétisation de ce projet national pour de multiples raisons mais dont la principale est, bien évidemment, le retard accusé dans sa mise en application. Les actions prévues par ce programme devaient être palpables sur le terrain durant une période s’étalant entre les années 2009 et 2013. Or, l’étude de ce projet d’abord par le gouvernement puis par le Conseil National Economique et Social (CNES) aura nécessité toute l’année 2009. L’absence d’une structure, chargée de piloter ce plan et de s’assurer de sa mise en application, a achevé d’anéantir les derniers espoirs des opérateurs privés du secteur des TIC pour lesquels une telle entité était plus que nécessaire.Les responsables d’entreprises et représentants d’associations professionnelles, avec lesquels nous nous sommes entretenus, n’ont pas caché leur frustration d’abord en raison de leur implication très limitée dans la mise au point de ce document et ensuite à cause du peu d’intérêt accordé aujourd’hui à E-Algérie 2013, projet  qui devait pourtant être une priorité absolue.

D’un autre côté, ce programme pèche par sa richesse, à en croire les professionnels du secteur qui estiment que l’abondance de détails dans le document E-Algérie 2013 qui compte, rappelons-le, 1010 points,  représente un véritable handicap. «Nous aurions été ravis de pouvoir faire ne serait-ce que la moitié de ce qui est préconisé dans le document », nous dit-on. Pour les opérateurs du domaine des TIC, il aurait mieux valu avoir un projet avec peu d’objectifs mais avec des priorités précises. Il y a lieu de signaler que les associations professionnelles estiment que le Ministère de la Poste et des TIC a fait preuve de bonne volonté et a fait le nécessaire pour que ce programme soit pris au sérieux. Des efforts qui n’ont manifestement pas abouti puisque, jusqu’aujourd’hui, aucune action entrant dans le cadre de ce programme n’a été engagée. Le projet E-Algérie 2013 est censé être réalisé avec l’implication de l’ensemble des ministères et des institutions publiques. Toutefois, en l’absence d’une structure plénipotentiaire, aucune injonction ne peut être imposée aux ministères. C’est précisément pour cette raison que la mise en place d’une structure chargée de faire le suivi du programme E-Algérie 2013 a été revendiquée par les opérateurs du secteur des TIC qui ont, semble-t-il, anticipé la résistance dont certaines institutions pourraient faire preuve.Certains n’hésitent pas à parler d’un retour au point de départ, considérant que le programme dont l’élaboration aura nécessité plusieurs mois de travail ne verra jamais le jour, pas dans sa version actuelle et certainement pas dans les délais qui lui ont été impartis. D’autres pensent que ce document est déjà un acquis car il s’agit du premier plan d’envergure national relatif au secteur des TIC. Ce plan, faut-il le signaler, a pour ambition de placer l’Algérie dans la catégorie des pays réellement utilisateurs des TIC et plus concrètement de rendre le quotidien des algériens beaucoup plus simple. Autant de raisons pour forcer l’implication de tous les ministères et administrations publiques.

Dans son axe « A », le programme E-Algérie 2013 prévoit des mesures  «visant à encourager l’usage des TIC au niveau des administrations avec pour objectif de donner un service fiable et de qualité aux citoyens».  Le même axe  encourage « les interactions entre les différentes administrations afin de rendre l’échange de données plus fluide ». Les axes « B » et « C » concernent respectivement la promotion  de l’utilisation des TIC  au niveau des entreprises et la généralisation de l’ADSL et des PC à usage particulier. Ce dernier axe est en fait une version plus élaborée d’Ousratic, un programme qui s’est essoufflé en bout de course. L’axe « D », quant à lui, a trait aux entreprises opérant dans le domaine des TIC. Il s’agira, suivant cet axe, de développer au mieux les entreprises spécialisées dans le domaine d’Internet, du développement des logiciels et dans les équipements informatiques. Ce programme a été donc imaginé pour promouvoir différents secteurs d’activités à travers la généralisation des TIC. D’où la nécessité de la participation de tous les ministères.
Le programme E-Algérie 2013 aura toutefois eu le mérite de dévoiler une vérité pour certains ou de la confirmer pour d’autres: l’Algérie n’est pas encore prête pour mettre en place sa société de l’information.

Administration électronique: LE TROPHEE E-DARATIC SUR LA RAMPE DE LANCEMENT

Le Ministère de la Poste et des Technologies de l’Information et de la Communication organise, les 27 et 28 juin 2010 en marge du Forum e-Daratic, la première édition du trophée e-Daratic qui s’adresse aux organismes et administrations publics. Ce trophée vise à valoriser les résultats en termes de e-administration et à encourager toute autres initiatives allant dans ce sens. Selon le Ministère, «l’administration électronique constitue un axe majeur dans le processus de construction de la société de l’information et de l’économie numérique. En effet, l’accélération de l’usage des TIC dans l’administration publique accroîtra son efficacité et engendrera une amélioration considérable de la qualité de ses services en direction des citoyens et des entreprises». Dans ce cadre, les expériences maghrébines et européennes ont permis de mesurer les actions à engager pour le déploiement intensif de l’administration électronique, en mettant à profit les meilleures pratiques et les bonnes conduites dans le souci d’aller au plus vite et dans les meilleures conditions à la concrétisation des objectifs retenus dans le programme e-Algérie 2013.
Il faut aussi assurer la disponibilité la plus large possible des moyens d’accès tant au plan du matériel informatique que des moyens des télécommunications et inciter les administrations à s’impliquer davantage dans le processus de mise en ligne des services nécessaires aux citoyens. Les experts recommandent également de promouvoir, dans tous les secteurs, le développement des services en ligne en direction de l’administration et d’accélérer le parachèvement des réseaux locaux, des intranets et des extranets, pour rendre l’information disponible au niveau de toutes les administrations. Un des principaux axes de la réforme de l’administration en Algérie a consisté à s’approprier les TIC dans la mesure où elles offrent une occasion exceptionnelle de «transcender les modèles centralisés de planification, de gestion et de direction». La E-gouvernance marque une rupture fondamentale avec les modes de gestion traditionnels que l’administration a connu jusqu’ici.
Les TIC ont la particularité d’être intrinsèquement porteurs de réformes. Au-delà du rôle essentiel qu’ils assurent en matière d’échanges d’informations, ils facilitent la prise de décision dans l’objectif de promouvoir un type de développement  économique, social et culturel. Notre société vit une véritable dynamique qui est appelée à remettre en question les standards traditionnels de l’administration publique. Encore faudra-t-il que nous sachions piloter ces transitions au bénéfice de la collectivité en général et du citoyen en particulier.

Un budget «théorique» de 4,5 milliards d’euros

D’après des sources proches du projet E-Algérie 2013, le budget qui devait être alloué initialement à la réalisation de ce projet était estimé à un montant de 4,5 milliards d’euros. Toutefois, ce chiffre qui était mentionné sur le document relatif au programme a été retiré. La disparition de ce chiffre est due, nous dit-on, au fait que l’entité chargée du pilotage du programme E-Algérie 2013 n’a jamais été installée.
« Une structure était supposé être mise en place pour faire le suivi du projet. Elle devait également gérer les fonds dégagés pour ce projet.En l’absence de cette structure, c’est le Ministère des PTIC qui a pris en charge la réalisation du programme E-Algérie 2013», expliquent nos sources qui ajoutent que le « Ministère ne pouvait gérer les fonds car cela aurait été assimilé à un budget ministériel supplémentaire ».


Entretien avec M. Ali Kahlane, président de l’AAFSI: « Le projet E-Algérie 2013 a été dévoyé »

M. Ali Kahlane, président de l’Association Algérienne des Fournisseurs de Services Internet (AAFSI), évoque avec nous le projet E-Algérie 2013.  Il ne cache pas sa déception quant aux changements survenus en cours de route.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le projet E-Algérie 2013, plus d’une année après son élaboration? 

Le plan E-Algérie 2013 a été mis au point avec la participation de notre association ainsi que d’autres professionnels dont l’activité est liée au domaine des TIC. L’élaboration d’un tel plan ne pouvait que nous réjouir. Malheureusement, les choses ne se sont pas passées comme nous le souhaitions. Après avoir été finalisé, le document a été envoyé à une institution de l’Etat pour étude et avis. Je pense que cela a retardé  l’application du plan d’au moins une année. C’est vraiment dommage car le secteur des TIC ne doit souffrir d’aucun délai. D’autre part, l’étude et les avis en rapport avec ce plan ont été publiés dans le Journal Officiel alors que le document lui même n’a pas été publié. Il semblerait que certains ministères et institutions appliquent  certaines actions dont la réalisation est la moins problématique du point de vue budget ou temps. En fait, j’ai peur que nous soyons quelque peu revenus à la case départ.

Qui a fait preuve de mauvaise foi exactement ?

Nous ne savons pas trop qui fait quoi et comment. Il n’est pas clair si ce plan est officiel ou pas. Le plan E-Algérie existe, c’est déjà quelque chose de très positif. Cependant, il comporte des faiblesses et des lacunes. Ce programme se propose d’être exhaustif,  il donne l’impression d’être irréalisable avec autant d’actions à concrétiser en l’espace de cinq ans. Par ailleurs, nous aurions aimé voir créer une structure indépendante, relevant du Président de la République ou du Chef  du Gouvernement, qui serait chargée de piloter et de faire le suivi de l’application du programme.

L’année 2009 est censée être incluse dans ce plan. Mais rien n’a été fait, du moins officiellement, durant cette année.

Effectivement. Une année à tourner en rond. Ce plan a été ficelé fin décembre 2008.  C’est précisément ce temps perdu qui a fini par le discréditer un peu. Nous appréhendons l’application non «officielle» de ce programme où chacun le fera un peu à sa manière. 

A lumière de tous les dysfonctionnements que vous relevez, pensez-vous que ce plan est encore réalisable ?

Je pense que le plan E-Algérie est quelque peu compromis. D’abord, parce qu’il n’a pas reçu l’officialisation qu’il est en droit d’avoir alors même que la dernière mouture a pris en compte les réserves et enrichissements formulés par l’instance qui a eu à l’étudier. Je pense qu’il est en train d’être dévoyé. Il ne faut pas perdre d’esprit que ce programme est une suite d’actions organisées dans le temps et  l’espace.

Pouvez-vous nous faire part de la position prise par l’AAFSI en ce qui concerne ce qu’il convient d’appeler l’affaire EEPAD ?

Tout d’abord, l’AAFSI soutient Algérie Télécom dans sa volonté de recouvrer ses créances. Nous avons en outre toujours exhorter l’EEPAD à payer ses dettes. Nous avons proposé à Algérie Télécom un plan, avec copie au Ministre des PTIC. Il ne faut pas oublier que malgré tout ce qu’on peut lui reprocher, la société EEPAD  a beaucoup fait pour le développement de l’Internet en Algérie. La priorité pour nous était donc de la maintenir en vie. Le patrimoine de l’EEPAD a été évalué à 500 millions de dinars. Dans ce plan, nous avons notamment proposé que l’EEPAD  soit gérée par un comité de pilotage formé de représentants d’Algérie Télécom, de l’EEPAD, de banques et d’un représentant de l’AAFSI. Ce comité aurait eu  pour mission d’assurer la bonne marche de  la société pendant une période de trois ans. Algérie Télécom a estimé que c’était à la justice de s’en occuper. Nous respectons cette décision.

Que pouvez-vous nous dire au sujet de la situation d’Internet en Algérie?  

Depuis maintenant dix ans, nous constatons que le choix de l’Etat pour « le tout mobile » a fait reculer le développement de l’Internet. Or ce dernier, le réseau de téléphonie fixe est indispensable à une connexion Internet pérenne. En avril 2008, un groupe d’ISP s’était constitué en Groupement d’Intérêts Communs et avait signé avec Algérie Télécom une convention-cadre qui a été suivie, deux  mois plus tard, par un contrat pour la commercialisation d’une offre Triple Play. Le 25 octobre 2009, une autre convention-cadre, sous l’impulsion du Ministre de la Poste et des TIC, a été signée entre l’AAFSI et Algérie Télécom pour permettre aux ISP de relancer leurs activités. Autrement dit, trois conventions ou contrats ont été signés entre les ISP et ou l’AAFSI  et Algérie Télécom, entre 2008 et aujourd’hui. Aucune de ces conventions n’a malheureusement débouché sur quelque chose de concret à ce jour.


Entretien avec M. Mokhtar Aiad, président de l’AASSEL: « E-Algérie 2013 n’a pas été pris au sérieux »

Pour M. Mokhtar Aiad, président de l’Association Algérienne des Sociétés de Services et des Editeurs de Logiciels (AASSEL), les opérateurs privés ont été écoutés, lors de l’élaboration du programme E-Algérie 2013, mais tenus à l’écart. D’autre part, le doute se serait déjà installé quant à la mise en application de ce plan ambitieux.

Vous avez contribué à la réalisation du document relatif au programme E-Algérie 2013. Que pouvez-vous nous dire aujourd’hui à  propos de ce projet?

En fait, nous avons participé aux débats  en rapport avec le projet E-Algérie 2013 mais nous n’avons pas participé à l’élaboration du document final. Nous avons d’ailleurs émis un certain nombre de réserves en ce qui concerne ce projet de manière générale. La première réserve est, bien sûr, liée au fait que les opérateurs du secteur des TIC n’aient pas participé à la réalisation de la mouture finale du document. Ces opérateurs l’ont certes inspiré mais n’ont pas participé à sa rédaction. Après sa finalisation, le document a été mis sur le site du premier Ministre et on nous a proposé alors d’émettre des remarques, mais ce n’était pas une manière de faire très entraînante. Il est vrai que ce projet a été très bien accueilli par les professionnels, car c’est la première fois que l’Algérie dispose d’un plan relatif aux TIC de cette importance, mais nous  aurions aimé que les opérateurs soient davantage impliqués. Nous reprochons aussi au document E-Algérie 2013  le fait qu’il comporte trop d’actions et une multitude de détails mais sans priorités  précises. Dans ce même plan, il était prévu la mise en place d’un comité chargé de mettre en place le plan directeur du programme E-Algérie 2013 en attendant l’installation d’une structure supposée faire le suivi du programme. Rien n’a été fait de tout cela. L’autre problème rencontré par ce projet est celui des délais d’étude. Le document a été remis au Conseil National Economique et Social en décembre 2009. Il a ensuite été renvoyé au gouvernement entre les mois d’avril et mai. Depuis, aucune action n’a été engagée. Je tiens à préciser, à ce sujet, que le Ministère des PTIC a déployé d’énormes efforts pour réaliser ce projet. Cependant, le doute quant à son aboutissement s’est installé peu à peu.  Il y a des administrations qui refusent encore d’acquérir des équipements proposés par des sociétés privées, ce qui est en totale contradiction avec l’esprit du plan E-Algérie 2013.

Où se situe exactement le blocage d’après vous ?

Nous sommes en attente d’une approbation officielle de la part du gouvernement quant à la mise en application de ce plan. Le document relatif à ce plan est entre ses mains depuis plus d’une année déjà. Je vous informe que, d’après une étude réalisée par l’ONU, l’Algérie est aujourd’hui classée à la 131ème place en ce qui concerne la E-administration et à la 148ème place en ce qui concerne les services en ligne. Ce sont des classements qui devraient nous donner à réfléchir.  Je vous informe aussi que, depuis quelque temps, nous ne parlons plus d’E-Algérie 2013, mais seulement d’E-Algérie, car il est désormais impossible d’atteindre les objectifs fixés par ce projet d’ici l’année 2013.

Quelles sont, selon vous, les mesures à prendre en priorité pour instaurer une véritable société de l’information en Algérie?

Avant tout, il faut une prise de conscience de la part des plus hautes autorités du pays. Il est également nécessaire de mettre en place une structure chargée de faire le suivi de tout ce qui touche à la généralisation des TIC. Cette structure, supposée être au dessus des Ministères, devrait être constituée de cadres représentant différents Ministères car les TIC touchent tous les secteurs. Je pense aussi qu’il faudrait revoir le programme E-Algérie en limitant le nombre d’objectifs fixés afin que ce soit des objectifs réalisables.

Quelle est la situation du marché des logiciels en ce moment ?

Il existe une demande assez intéressante au niveau de ce marché, mais la situation n’est cependant pas favorable à l’investissement. Les entreprises spécialisées dans le développement de logiciels ne se développent pas très vite car il existe, sur le marché, une certaine instabilité. Les lois algériennes encouragent l’investissement, mais la réalité sur le terrain reste assez difficile. Si rien n’est entrepris pour promouvoir ce secteur, de nombreuses sociétés risquent de fermer boutiques. Je pense que le marché des logiciels en Algérie est véritablement menacé.


Source: N'TIC 42 / MARS 2010