Le point d’interrogation ?

L'Algérien sait-il se servir du téléphone portable ?
Fini le temps où le téléphone portable était l’apanage des plus riches et des mieux placés. La mort du monopole a permis à une grande majorité d’Algériens de découvrir un gadget qui deviendra rapidement culte. Depuis, l’Algérien entretient une relation fusionnelle avec son téléphone : il ne peut plus s’en passer. La preuve ? Presque personne n’éteint son téléphone ni dans une salle de conférences, ni dans une mosquée, ni dans un hôpital. Tout le monde attend-il le coup de fil qui changera sa vie ? Pourquoi le bip est-il devenu une spécialité nationale ? Pourquoi l’Algérien hurle-t-il lorsqu’il est au téléphone ? Utilise-t- il de la sorte son téléphone portable à bon escient ?
Je bipe donc je suis
Tout le monde avait parié sur la disparition du phénomène du «bipage», une fois passé l’euphorie due à l’acquisition d’une ligne téléphonique. Il n’en est rien. Au contraire. Plus le nombre d’abonnés augmente, plus la communauté des «bipeurs» s’élargit. L’Algérien est un «bipeur» invétéré. Il bipe en guise de bonjour, il bipe pour dire qu’il est bien arrivé à X endroit mais il bipe surtout sans aucune raison et à toute heure de la journée. C’est une véritable addiction qui le pousse à composer des numéros au hasard juste pour le plaisir d’entendre une sonnerie. Ce sont des personnes à classer dans la case des empoisonneurs mais contre lesquelles la loi n’a rien prévu. Il paraît que beaucoup espèrent que la personne appelée rappelle et que cet échange soit le prélude d’une grande histoire. Difficile de croire qu’on puisse sympathiser avec des enquiquineurs qui opèrent en toute impunité. Mais il y a pire. Il y a le bipeur avare qui bipe un ami ou un membre de sa famille à plusieurs reprises. A force de la harceler, il finit par avoir sa victime à l’usure. Cette dernière croyant que l’«autre» a besoin d’elle en urgence finit par le rappeler. Surprise : l’«autre» au bout du fil veut tout simplement demander un service ou raconter ses déboires mais à moindre coût. En matière d’indélicatesse, difficile de faire «mieux». Alors le bipeur se sert-il comme il le faudrait de son téléphone
Quand Shakira s’invite dans les mosquées
«Eteignez vos portables SVP.» Les imams de pratiquement toutes les mosquées ont placardé des affiches demandant aux fidèles de faire taire leurs appareils. C’est qu’ils en avaient marre d’entendre au moment de la prière «Whenever» ou «Abdelkader Ya Boualem». Shakira et Khaled à la mosquée ? Eh oui ! Depuis que le téléchargement des sonneries fait fureur, rares sont ceux qui résistent à se faire plaisir. Résultat : c’est la cacophonie dans les maisons de Dieu. Un affront que les imams tentent de laver en enjoignant les fidèles à éteindre sinon à mettre sur mode vibreur leurs téléphones. C’est que les fabricants de portables ont pensé à tout et le mode silencieux n’est pas un superflu. Pour le rappeler aux fidèles, certains pays arabes ont eu recours à la publicité. Un message publicitaire leur rafraîchit la mémoire et leur rappelle que la seule communication possible à l’intérieur des mosquées c’est celle qu’ils sont censés établir avec le bon Dieu… Alors, sait-il utiliser son téléphone le fidèle qui le laisse sonner pendant la prière ?
Jamais sans mon téléphone
Autre phénomène : les téléphones qui sonnent dans les salles de conférences. Même si le conférencier prend la peine de demander à tout le monde d’éteindre son portable, la moitié de la salle fait la sourde oreille. Le comble, c’est lorsque ce même conférencier n’applique pas la consigne et que son téléphone se met à sonner. Gêné, il n’ose pas esquisser le moindre geste. Il laisse hurler son téléphone avant d’être obligé de l’éteindre sous le regard incrédule de l’assistance. Le phénomène a pris une telle ampleur que dans certaines salles de conférences, les propriétaires ont tout bonnement installé des dispositifs permettant de brouiller le champ. Seul rempart contre les sonneries qui perturbent le bon déroulement des travaux. Mais même en sachant qu’il lui est impossible d’utiliser son téléphone, pour absence de champ, l’utilisateur effréné vérifie, revérifie sans cesse si le fameux champ «est revenu». Le scénario se répète dans les cimetières, les hôpitaux… Aucun argument ne semble convaincre les usagers de la nécessité d’éteindre ou de mettre sur vibreur leurs appareils. Il n’est pas rare qu’une sonnerie retentisse en plein enterrement. Le concerné est généralement à peine embarrassé. A l’assistance qui lui lance des regards courroucés, il semble dire que cela fait partie des dégâts collatéraux dus à l’incursion de la technologie dans notre vie. C’est dire que certains n’ont pas encore très bien compris à quoi sert un téléphone. Faudrait-il que les constructeurs pensent à inclure une notice d’utilisation dans les packs de téléphones ?
Le plus beau, le plus récent …
Tant pis s’il ne se sert de son téléphone que pour émettre et recevoir des appels, l’Algérien atteint de «téléphonite» aiguë veut toujours avoir le dernier téléphone. Même s’il ne sait pas ce que Bluetooth signifie, s’il ne se servira jamais des différentes options de son téléphone, tant pis : le plus important, c’est d’épater la galerie, de passer pour quelqu’un de «branché». Pourtant, les fabricants de téléphones insistent sur un point non négligeable : chaque téléphone est fait pour une cible bien définie. Pourquoi s’encombrer d’un Smart phone quand on ne fait que biper ? Pourquoi s’équiper d’un téléphone multimédia lorsqu’on ne fait qu’appeler ? Une seule réponse : la frime. Quitte à se ruiner, certains sont prêts à débourser le double de leurs salaires pour acquérir le fin du fin dont ils n’optimiseront même pas l’utilisation. Un tel comportement dénote-t-il d’un usage rationnel du téléphone?
Plus ils hurlent, mieux c’est…
Il ne suffit pourtant pas d’acquérir un téléphone pour adopter le comportement d’un homme moderne. Certains continuent de se comporter comme à l’époque où ils appelaient leurs vieilles tantes de chez l’épicier du coin. Ils ne parlent pas mais hurlent pour se faire entendre. Dans le bus ou sur les lieux de travail, ils font participer tout le monde à leurs conversations. Alors vous saurez tout de ce que une telle a préparé hier à manger, de la dispute d’un autre avec sa femme, des problèmes familiaux des autres. Nullement gêné, les auteurs de ces conversations le font avec un tel naturel, que souvent ce sont ceux qui écoutent qui se sentent gênés de faire une telle incursion dans la vie privée de leurs collègues. Mais ces derniers, au mépris des règles les plus élémentaires de la bonne cohabitation, hurlent, se disputent sans prêter attention à ce qui se passe autour d’eux. Dans leur bulle, ils se fichent du désagrément causé aux autres. Ils oublient souvent que nous ne sommes plus à l’ère du combiné archaïque, qu’il n’y a pratiquement plus de fritures et qu’en parlant moins fort, leur téléphone saturera moins et leur correspondant les entendra mieux. Mais rien à faire. D’autres n’ont visiblement pas compris que le téléphone est un objet personnel et qu’il ne se passait pas. Ils n’hésitent pas à demander à une connaissance de leur passer leur appareil pour passer un coup de fil. Sous prétexte qu’ils n’ont plus de crédit, ils abusent de la gentillesse des autres, poussant parfois l’outrecuidance jusqu’à se permettre de longues conversations ou parfois même de jeter un regard au répertoire ou à l’album photos. Alors sait-il se servir de son téléphone celui qui hurle autant ?
Alerte aux voyeurs !
Que dire de ceux qui usent de leurs téléphones pour porter atteinte à la vie privée d’autrui ? Ce qui ne constituait que quelques exceptions est en passe de prendre l’ampleur d’un véritable phénomène. De plus en plus de personnes s’adonnent à cet indélicat exercice. «Armés» de téléphones portables dotés d’appareils photo ou de caméras, certains n’hésitent pas à prendre en photo ou à filmer leurs proies. Le risque est de plus en plus grand de voir ce genre de vidéos circuler grâce au Bluetooth qui permet le partage des fichiers. A Alger, la vidéo d’une lycéenne qui avait fait le tour des portables avait défrayé la chronique, obligeant les services de sécurité à déclencher une enquête. Sans le savoir, n’importe qui peut devenir acteur principal d’un film de très mauvais goût. Savent-ils ces amateurs que l’atteinte à la vie privée est punie par la loi ?
Résultat :
Depuis qu’il a découvert ce gadget magique qu’est le téléphone, l’Algérien normalement constitué ne s’imagine plus sans. C’est vrai que s’il est portable, c’est évidemment pour qu’il soit toujours sur soi mais de là à ne plus pouvoir vivre sans, de n’avoir de respect ni pour les morts ni pour les malades, il y a un pas à ne pas franchir. Mais comment convaincre la grande majorité que le bip c’est démodé, que la majorité des appels sont aujourd’hui à seulement 5 DA et qu’au lieu d’attendre désespérément que l’autre ne rappelle, ils peuvent griller quelques unités pour régler leurs problèmes ? Comment leur faire comprendre qu’on peut parler doucement ? Que les autres ne sont pas obligés d’assister au déballage de leur vie privée ? Comment leur faire comprendre qu’ils utilisent très mal leur téléphone ? Peut-être qu’avec la pratique, les mœurs changeront, que ceux qui n’ont pas encore très bien compris qu’un portable sert à se faciliter la vie, à être joignable. Il faut dire que la démocratisation du portable est toute récente et qu’il faut du temps pour s’y habituer. Peut-être que dans cinq ou dix ans, lorsque la télédensité atteindra des moyennes acceptables, que le téléphone portable sera enfin un objet banal de la vie courante, les pratiques qui datent de l’antiquité disparaîtront d’elles-mêmes et que ceux qui ne savent pas user de leur téléphone, se familiariseront avec cet objet.