TELEPHONES CELLULAIRES Le portable entre cabas et des milliards dans la nature


Le marché informel des téléphones cellulaires, lire portables, a pris une telle ampleur que les chiffres de la contrebande s'affolent en absence de statistiques officielles.

Le fléau a touché tout le pays et plus sensiblement les grandes villes du territoire national, affectant par là, la bonne régulation d'un marché aux contours jugés encore flous. Quelques chiffres jalonnent, pourtant, le parcours du portable parallèle puisqu'on avance le chiffre de quelques 300 mille appareils introduits frauduleusement au pays, en 2004, et dispatchés aux quatre coins de la carte géographique. Le 5 mai 2005, près de 600 unités sont saisies dans le train assurant la navette entre Oran et Alger et l'on n'hésite plus, depuis longtemps au fait, de parler de véritables plaques tournantes du trafic des cellulaires et aussi de réseaux bien huilés dans la distribution du produit. Alger, en premier lieu, Oran, Tlemcen sont désignées d'un doigt accusateur comme faisant partie de l'axe de contrebande. D'autres chiffres, plus éloquents, renseignent sur l'ampleur du trafic puisqu'en 2006, la direction du contentieux de la direction générale des douanes fait état de la saisie de 7 682 téléphones portables introduits frauduleusement en Algérie. 4 637 à Tlemcen d'une valeur marchande estimée à 13, 68 millions de dinars, 1 507 à Oran pour 3,15 millions de dinars, 225 à Alger extérieur (aéroport) estimés à 1,13 million de dinars et 779 à Alger- Port pour 2,95 millions de dinars. La valeur marchande de ces saisies effectuées au niveau des différentes directions régionales des douanes s'élève à plus de 22,8 millions de dinars. A cela s'ajoutent les saisies des accessoires de portables qui se chiffrent à plus de 47,9 millions de centimes. Soit un total de plus de 2,32 milliards de centimes. Pour l'année 2005 ce sont 10 255 téléphones mobiles qui ont été saisis par les Douanes algériennes dont 7 018 à Tlemcen et 1 542 à Oran pour une valeur estimée à près de 36 millions de dinars. Aux premiers abords, on enregistre une baisse quantitative dans les saisies mais la réalité du terrain possède ses propres lectures du phénomène et le marché informel a développé un tel sens de régénérescence capable de lui procurer une plus grande capacité de nuisance.

La porte d'accès des trafiquants du cellulaire pour l'ouest se fait invariablement à partir de la bande frontalière avec le Maroc et le fameux marché de Zouia reste fortement suspecté de s'être recyclé dans la contrebande du portable après avoir été, des années durant, le réceptacle de tous les bouts de tissus fourgués par le voisin Chérifien. Le marché est également approvisionné par le vol de portables qui a atteint des proportions alarmantes défiant toute logique sécuritaire. Ainsi pas moins de 1.881 affaires ont été comptabilisées et traitées par les services de la sûreté de la wilaya d'Oran au cours de l'année dernière, fruits de vols à la sauvette ou après agression, perpétrés dans plusieurs quartiers d'Oran. Quelque 333 portables ont été récupérés sur les 1.433 volés alors que 982 personnes ont été arrêtées au cours de ces opérations policières. Ces appareils volés intègrent le circuit des marchés et se retrouvent sur les différentes placettes dédiées au portable. Toujours au rayon des chiffres, 21 téléphones portables ont été récupérés par les services de police à Oran après une recrudescence enregistrée dans le vol des téléphones avec 111 affaires pour le seul mois de février.

Le lieu de rendez-vous des «amateurs» du téléphone portable. A la place Aïssat Idir, coupant la rue Benzerdjeb en deux et plus précisément à hauteur du café Nadjah, une foule bigarrée se bouscule dans un désordre savant. L'emplacement est réputé pour servir de véritable baromètre du marché informel local. Et il y a de quoi, si l'on se réfère à l'affluence qu'il enregistre chaque jour de la semaine. Pourtant, peu de gens peuvent se targuer de connaître les origines exactes de ce marché, devenu, à force, incontournable dans le paysage des échanges «commerciaux» entre particuliers. L'espace, longtemps honni par les riverains, n'en finit plus de susciter la colère de son entourage. Débordant ostensiblement et dangereusement sur le bitume et gênant et la circulation piétonnière et automobile, ce marché, casanier par définition, s'est déplacé de quelques mètres seulement suite aux différentes plaintes, descentes, rafles et autres saisies. Ici, tout se vend du moment que les billets de banque suivent. Les téléphones et leurs accessoires allant de la simple batterie de recharge au kit main libre, carcasses et étuis. Les marques les plus prestigieuses et le bas de gamme importé du proche Maroc se côtoient sans autre forme de procès et les Nokia, Samsung, Motorola et Siemens, changent de mains après les palabres et marchandages d'usage. Les prix varient selon la qualité du produit mais aussi à la tête du client. Si ce dernier, novice dans le domaine ne se fait pas chaperonner par plus expert il se fait arnaquer à tous les coups. Les exemples sont nombreux même si ce n'est pas la règle d'or des transactions. De 2000 à 8500 dinars pour la plupart des produits alors qu'une autre gamme avoisine les plafonds. Dans ce microcosme, un oeil exercé peut distinguer trois sortes de revendeurs. Si la plupart d'entre eux, généralement des barbus qui «apostasient» l'argent du système, en font presque un métier «shab el caba», il existe l'occasionnel, celui qui dans le besoin s'improvise revendeur et un téléphone à la main et l'embarras sur ses traits, il attend le futur client. La dernière espèce des revendeurs qui écument la place est celle des voleurs de portable qui essayent de se mêler aux autres pour passer inaperçus. On les reconnaît facilement à l'allure suspecte qu'ils affichent et à leurs manières de marchander, histoire de se débarrasser le plus rapidement possible et à n'importe quel prix de la pièce à conviction qu'il trimbale. «C'est à cause de ces gens là qu'on se fait emm...par les flics», regrettera un «commerçant» représentant la première catégorie. Le marché est exclusivement masculin et les victimes de vols à l'arraché ou violentées n'hésitent pas à inspecter les visages à la recherche d'un suspect ou tout simplement en quête de reprendre leurs biens. Et il n'est pas rare que les passants assistent à de véritables chasses à l'homme, les couteaux et les sabres traditionnels bien en vue. «De toute façon, tous ceux que tu vois là sont armés» me dira Kader, un employé de bureau à proximité des lieux.