Paris lance une chaîne info pour séduire le Maghreb

On la présente d’emblée comme la “CNN” française, sorte de version “frenchy” de BBC World, de Deutsche Well ou d’Al-Jaazera, avec un package culturel français, des “valeurs françaises”. Elle, c’est France 24, dernier label à venir enrichir le paysage audiovisuel français.

Son capital est détenu fifty-fifty par TF1 et France Télévisions. Dotée d’un budget annuel de 80 millions d’euros, France 24 est une chaîne d’information internationale qui devrait toucher dans un premier temps quelque 190 millions de téléspectateurs dans 90 pays dont la zone Maghreb et le Moyen-Orient.

À cet effet, la chaîne sera présente sur sept satellites (Hotbird 7, Astra 1, Atlantic Bird 2, Eurobird, Arabsat 3A, Nilesat 102 et NSS 7 Bande C). Elle devrait essaimer aux quatre coins de la planète avec un réseau de 170 journalistes issus de 27 pays. C’est donc une sorte de “LCI” plus ouverte sur le monde. Son lancement, qui est prévu pour décembre 2006, se fera à la fois en clair, en numérique et par Internet.

Elle émettra dans un premier temps en français et en anglais, et en juillet 2007, elle réservera des tranches en langue arabe. C’est dire les visées “expansionnistes” de cette chaîne dont tout le monde sait qu’elle obéit à la volonté d’un Chirac soucieux de vendre “sa” francophonie.

De quoi seront alimentés ses programmes ? Eh bien, comme toutes les chaînes d’information en continu, le gros de sa grille sera accaparé par une succession de JT et autres flashes d’information. Il y aura également des plages réservées aux talk-shows, aux émissions politiques, aux magazines de société et aux grands reportages.

Question : la chaîne ne serait-elle pas un simple “remake” de TV5 avec plus d’agressivité ? Il est vrai que l’une des missions de TV5 était la diffusion de la culture française dans le monde par un panel de programmes puisés globalement dans les chaînes “souches”. Mais, les ambitions de France 24 en termes d’audience internationale semblent autrement plus voraces, avec, à la clé, une diversité dans les contenus qui colleraient à la carte des pays “cibles”.

Cela dit, sa vocation première est d’assurer un rayonnement culturel de la France et d’apporter “un regard français” sur la marche du monde. C’est du reste, ce que décrète clairement la charte de la chaîne : “Notre mission : véhiculer partout dans le monde les valeurs de la France.” Alain de Pouzillac, président du directoire de la chaîne, précise : “Aujourd’hui, le monde est vu par les yeux des Américains. Nous ne voyons pas le monde de la même manière. Nous voulons poser un regard français sur le monde.” (Voir l’Humanité du 15 septembre 2006).

L’hégémonie politicomilitaire américaine, soutenue par un “atlantisme” médiatique (CNN, Fox News), déplaît donc fortement à Chirac et les officines médiatiques qui lui sont acquises. À cela, il faut ajouter le phénomène du bouquet arabe et le forcing des Al-Jaazera, Al-Arabia et autre MBC qui ont opéré carrément un détournement des publics arabes comme on l’a vu à l’occasion de la couverture de la dernière guerre du Golfe ou encore celle du Liban, avec des formats éditoriaux propres à nous.

Parallèlement à cette offensive atlantiste et arabe, il y a l’affaire Cheikh Kamel et le verrouillage de TPS, cédant à une logique proprement commerciale, sabordant la dimension “stratégique” et le côté “diplomatie d’image”. Les “valeurs de la France” se révélaient incompatibles avec le “business” de la Coupe du monde, ce qui portera un coup dur à l’audience française au Maghreb.

De son côté, la francophonie d’appareil n’a pas vraiment brillé en Roumanie, comme en témoigne l’attitude du Liban, sans compter le jeu trouble d’un Bouteflika qui continue à entretenir le suspense quant aux velléités d’une adhésion franche de l’Algérie à l’Organisation de la francophonie, soulignant que c’était par amitié à Chirac qu’il consentait à changer à l’Algérie de statut vis-à-vis de l’OIF.

Le lobbying de Chirac paie bien, en définitive, lui qui est sur tous les fronts. Il aura su fédérer Patrick de Carolis et Étienne Mougeotte autour d’une même cause destinée à promouvoir “le regard de la France”.

Une orientation qui, cependant, ne semble pas emballer la toute nouvelle rédaction de France 24, elle qui ne se voit pas du tout “embedded” dans la cuisine de l’Élysée, et qui se montre d’emblée jalouse de sa liberté éditoriale. “Notre métier ne consiste pas à porter des valeurs, mais à informer”, s’indigne Jean-François Téaldi, délégué SNJ-CGT de France Télévisions, dans les colonnes de 20 Minutes du 13 octobre dernier.

“La charte de BBC World assure une liberté totale à chaque journaliste. Et est dénuée de toute référence au rayonnement de la Grande-Bretagne dans le monde”, dira pour sa part Sian Kevill, une journaliste britannique citée par le même journal. Est-ce à dire que le ciel s’annonce déjà brouillé pour France 24 ?...


Source :LIBERTE