Entretien avec Azouaou Mehmel, PDG d’Algérie Télécom

Azouaou Mehmel, PDG d’Algérie Télécom, nous a reçus au siège social de l’entreprise pour une entrevue. L’occasion pour nous de revenir avec lui sur plusieurs sujets d’actualité et de dresser notamment le bilan du lancement de la 4G fixe.

 

 

Vous avez lancé la 4G fixe il y a un peu plus de 2 mois. Pourriez-vous nous dresser un bilan ?

Il faut savoir que nous n’avons pas lancé la 4G de façon massive, nous l’avons réservée dans une première phase aux professionnels. Les échos que nous en avons sont bons, nous n’avons que des clients satisfaits de cette technologie.

 

Avez-vous des chiffres à nous communiquer sur le nombre d’abonnés à cette solution ?

Actuellement, nous avons déployé un réseau de plus de 250 sites installés à travers les 48 wilayas. Mais ce n’est qu’une première phase qui n’a concerné que le segment Entreprises. C’est un réseau qui est dimensionné pour prendre en charge 100 000 clients. Aujourd’hui, nous comptons plus de 4 000 clients. Nous allons lancer prochainement une deuxième phase qui ciblera les espaces communautaires avec entre autres les cybercafés. Nous comptons encourager dans beaucoup de régions la création de ces espaces pour permettre au maximum de personnes de profiter de l’accès à Internet. Bientôt, nous allons faire une offre aux cybercafés et nous généraliserons après pour le grand public.

 

Il y a eu quelques polémiques sur le choix de la 4G, le fait qu’elle soit limitée et sur le fait que vous ayez opté pour plusieurs équipementiers. Pensez-vous que cela est du à une mauvaise communication d’Algérie Télécom ou est-ce la presse qui en fait un peu trop ?

Une certaine presse, qui adore le sensationnel, a joué un rôle bien sûr mais il y a aussi les experts, du moins ceux qui s’autoproclament experts. Avant le lancement de la 3G, souvenez-vous, il y avait tout un débat «3G ou 4G». On a eu droit alors à des «il y a des pays qui sont plus pauvres que nous qui ont la 3G», on nous a traité de «pays le plus arriéré», bref. Tous les maux de l’Algérie étaient dus à l’absence du haut débit mobile. Mais après le lancement de la 3G, les citoyens ont vite déchanté. Les opérateurs étaient contre le fait de passer à la 4G car cela nécessitait de trop grosses dépenses. Ils ont donc préféré passer par la case 3G. Nous n’avons pas en Algérie une économie numérique qui peut financer et rétro-financer les infrastructures nécessaires, surtout que nous avons un territoire très étendu qui fait que les coûts de déploiement d’une telle technologie seraient extrêmement élevés. Pour un même nombre d’abonnés, nous allons dépenser 2 voire 3 fois plus que chez un pays voisin. Algérie Télécom est un opérateur qui a décidé d’aller vers le LTE et d’offrir des accès qui ne sont pas mobiles mais fixes.

 

Combien d’accès résidentiels y a-t-il actuellement à l’ADSL ?

Il y a environ 1 300 000 accès à l’ADSL comprenant entre 30 000 et 40 000 entreprises. Ce chiffre est appelé à augmenter. Nous visons les 6 millions d’accès d’ici 3 - 4 ans.

 

Algérie Télécom n’aurait-elle pas vocation de favoriser l’émergence des data centers pour limiter l’accès à la boucle internationale ? Des actions ont-elles été entreprises ?

Oui, il y a eu des actions. D’ailleurs, nous comptons lancer 2 projets de construction de data centers en Algérie. Des projets qui seront concrétisés dans 2 ou 3 ans maximum. Cela devient une nécessité sur le plan national, question sécurité et souveraineté, mais aussi pour le développement du contenu.

 

Quel est le rôle d’Algérie Télécom dans la protection des données de l’internaute ?

Notre rôle est de sécuriser nos infrastructures. Les données qui sont hébergées chez nous sont sécurisées. Après, chaque internaute est libre de sécuriser ses données, cela relève de sa responsabilité. Nous avons des centres d’hébergement qui n’ont certes pas une dimension importante mais qui hébergent du contenu émanant d’institutions, d’entreprises aussi bien publiques que privées, et qui est sécurisé.

 

Vous avez lancé One Click, une offre pour la conception de sites web. Ne pensez-vous pas que, compte tenu de l’état actuel du développement des start-ups en Algérie qui n’arrivent pas à émerger, vous êtes en concurrence directe avec ces petites entreprises ?

Algérie Télécom n’a pas vocation de ne rester qu’un fournisseur d’accès. L’accès ne fait pas vivre les opérateurs. Nous avons en effet une offre d’auto-création de sites web. Ce n’est pas nous qui réalisons le site mais l’utilisateur qui le conçoit interactivement et qui peut l’héberger chez nous. Le but étant d’attirer le maximum d’entreprises, de la PME à la micro-entreprise, à utiliser Internet. Cette offre commence à marcher mais il faudrait qu’il y ait plus de confiance. Les gens ont tendance à avoir peur, beaucoup préfèrent héberger leurs sites web à l’étranger parce qu’ils pensent que c’est moins cher ce qui est faux. Nous avons fait des offres très adaptées, nous avons complètement revu nos offres d’accès pour les entreprises. Le tout avec une qualité de services et un débit minimum garantis.

 

Parlons un peu de votre bibliothèque numérique Fim@ktabati. D’où provient le contenu ?

Nous avons conclu un partenariat avec un fournisseur basé en Europe. C’est une bibliothèque essentiellement francophone pour le moment. Nous faisons valider le contenu par le Ministère de la Culture, un contenu qui est régulièrement mis à jour. Nous comptons bien sûr numériser du contenu local et nous sommes actuellement en discussion avec un fournisseur de contenus en langue arabe.

 

Passons aux offres Idoom. Ne pensez-vous pas que c’est un peu « dépassé » de lancer des offres de téléphonie fixe ?

Il est vrai que concernant la téléphonie fixe, la tendance est légèrement à la baisse comparé au mobile. En termes d’usage, nous avons en effet tendance à ne pas utiliser le téléphone fixe. A l’extérieur, nous utilisons le mobile et à la maison aussi, par simple habitude, réflexe. Pourtant, il y a cet outil qui est là, qui offre un meilleur confort d’écoute avec des coûts moindres. Le seul problème que nous allons bientôt résoudre est le terminal en lui-même. Nous allons en effet lancer prochainement la commercialisation de terminaux adaptés, des sans-fils domestiques, afin que la notion de mobilité à la maison soit effective.

 

Qu’en est-il du Triple Play en Algérie ? Un projet abandonné ?

Il faut savoir que tout ce qui fonctionne ailleurs ne va pas forcément fonctionner dans notre pays. Le problème qui se pose en Algérie avec le Triple Play c’est la télévision. Le client est-il prêt à payer les droits de retransmission ? Quand on voit l’ampleur du piratage, quel opérateur va vouloir se lancer dans ce marché ? Nous songeons à le faire mais en évitant l’IPTV, en proposant des vidéos à la demande avec des contenus locaux et des contenus spécifiques que nous pouvons produire localement.

 

Qu’en est-il du e-paiement dans nos contrées, sachant que vous avez fait un premier pas en lançant l’offre Klass ?

En effet, nous pensons que c’est un premier pas vers l’instauration du paiement en ligne. Nous avons conclu un partenariat avec Algérie Poste après avoir constaté que la majorité de nos clients disposaient d’un compte CCP. Plus besoin de se déplacer, ils peuvent payer leurs factures ADSL par simple virement. Avec Klass, nous avons étendu cette offre en incluant les factures téléphoniques. Il ne s’agit pas d’un prélèvement automatique, le client a le temps de constater sa facture avant de valider le virement qui sera effectué. Nous proposerons prochainement ce même service aux titulaires de comptes bancaires. Cela mettra en confiance l’internaute et désengorgera nos agences commerciales.

 

Parlez-nous maintenant de votre qualité de services. Les clients se plaignent souvent de la qualité du débit, de votre méthode de facturation (le client est facturé même sur des périodes de coupures). Quelles mesures ont été prises pour remédier à ces problèmes ?

Beaucoup de chantiers sont lancés pour remédier à notre qualité de services. Nous avons actuellement de gros problèmes sur le réseau d’accès. C’est un réseau en cuivre qui a été conçu à la base pour le téléphone, la voix. Même si ce type de réseau est adapté pour l’ADSL, c’est de l’ADSL de première génération avec un débit bas. Aujourd’hui, nos clients demandent et exigent plus, des débits de 4 voire 8 Mo ce qui est impossible à satisfaire sur ces supports. Il y a donc tout un travail d’assainissement des supports qui a été lancé.

Il y a aussi un travail plus laborieux qui est dans notre ligne de mire : notre système d’information. Il faut qu’il y ait plus d’intelligence dans nos réseaux pour apporter au client plus de flexibilité et pour lui permettre d’avoir plus d’options. Notre système d’information actuel est en fin de vie ce pourquoi nous avons ouvert ce vaste chantier pour mieux gérer notre relation avec le client. Il faut savoir que quand il y a une coupure qui est signalée par le client, nous faisons le nécessaire pour y remédier. Il n’est en effet pas normal qu’il paye une période où il a été isolé. Nos clients sont à la page, ils demandent sans cesse plus mais quand il s’agit d’un problème d’ordre d’infrastructures, ce n’est pas si simple et cela demande du temps. Aujourd’hui, pour basculer d’un système d’information à un autre, il faut compter 3 - 4 ans mais cela ne veut en aucun cas dire que nous ne gérons pas systématiquement les réclamations de nos clients.

 

Un mot sur la santé financière d’Algérie Télécom.

Algérie Télécom se porte très bien financièrement. Nous n’avons jamais été déficitaire, nous sommes toujours en croissance. Mais on est loin du potentiel du marché. Le plan de rattrapage que nous avons initié sert à asseoir notre position sur le marché. Beaucoup de personnes, et parmi eux les experts, prédisaient la disparition d’Algérie Télécom après le lancement de la 3G. Personnellement, nous ne nous sommes jamais mieux portés qu’aujourd’hui. La 3G ne peut se substituer à un usage fixe. Les opérateurs mobiles ont leurs activités et leurs clients, nous avons les nôtres. Les pouvoirs publics ont pris conscience de la nécessité de développer le haut et très haut débit en Algérie. Et pour cela, il faut des fonds que nous n’avons pas forcément. Voilà pourquoi l’Etat nous a proposé un prêt à taux bonifié pour réaliser tous les travaux d’infrastructures nécessaires dans des délais raisonnables. Ce n’est pas une subvention de l’Etat mais un prêt qui sera remboursé.