Les jeux gratuits sur Internet: à qui profite le business ?

L’industrie du jeu vidéo et ses consommateurs sont en constante évolution. Ainsi, une nouvelle manière de jouer, le Free to Play, semble prendre une part de plus en plus importante dans le marché des loisirs interactifs.



Ce secteur émergeant est en pleine expansion et pourrait peut-être modifier le schéma économique du marché vidéo ludique, jusqu’ici orchestré par les jeux vidéo vendus en boite dans les magasins. Plutôt un abonnement, le joueur peut aujourd’hui trouver satisfaction grâce à l’offre immense de jeux gratuits. Cette offre qui permet aussi à un nouveau public de découvrir le jeu vidéo illustre un nouveau phénomène social et économique. Nous sommes frappés par l’incroyable croissance et popularité des jeux en ligne, ouvrant le monde du jeu vidéo à des populations jusqu’à présent étrangères à cet univers. Mais ce phénomène est trop récent pour être traité correctement par les médias. Il faut un peu de recul pour le décrypter.

Quel est le profil des joueurs ?


Généralement, ce sont des jeunes qui ont entre 20 et 30 ans. Des consommateurs qui n’ont pas forcément de gros moyens à consacrer aux jeux électroniques. Les éditeurs observent le phénomène avec la plus grande attention. Bien loin de le critiquer, ils n’ont rien trouvé de mieux que de... l’accompagner. Les logiciels qu’ils diffusent sur Internet ne sont pas complets. Il s’agit, en fait, de versions de démonstration qui se contentent d’offrir un aperçu du jeu... et de susciter l’intérêt. La simplicité, c’est tout l’intérêt des jeux gratuits. Pas vraiment ambitieux en termes de scénario, ils permettent de s’évader entre deux coups de fil ou juste avant un rendez-vous.

Selon l’Agence française pour le jeu vidéo, « la vaste majorité de ces joueurs ne viennent pas du monde du jeu vidéo. Ce ne sont pas des hardcore gamers. Cela explique peut être pourquoi peu de studios traditionnels se sont intéressés à ce nouveau marché, du moins jusqu’à présent». Le hardcore gamer va rechercher un jeu technique, à la courbe d’apprentissage très pentue et nécessitant de gros efforts, aussi bien en termes d’ingéniosité que d’investissement personnel. La première motivation des joueurs orientés casual est essentiellement d’ordre social, ils ne se définissent pas comme des joueurs. Selon Playfish, société de créations de jeux communautaires en ligne, le coeur du marché est large puisqu’il va de « 16 à 34 ans et sur Playdom, seuls 25% des joueurs sont des adolescents ». Enfin, il y a autant de joueuses que de joueurs.

A qui profite le business ?


Pertinente question à laquelle les spécialistes tentent de répondre à travers plusieurs contributions. Il faut savoir de prime abord que ce type de jeu se caractérise par un accès gratuit à l’intégralité du jeu. L’éditeur se rémunère en vendant des objets virtuels, les « items », ou des fonctionnalités dont le coût unitaire est généralement très faible. Les chiffres générés par les acteurs de ce nouveau modèle économique n’ont rien à voir avec ceux que nous associons avec le modèle économique traditionnel. Dans ce dernier, un jeu qui se vend à 5 millions d’unités est un hit planétaire. Pour un Free-to-Play, les hits commencent à 50 millions de joueurs. La différence est de taille. Mais le nombre de joueurs n’est pas la seule différence majeure avec le modèle économique traditionnel que nous connaissons. Ce dernier est porté par les hits dont la durée de vie est très brève alors que les jeux en Free-to-Play s’inscrivent dans la durée. C’est la deuxième différence. Ce qui est étonnant, c’est de constater que 90% à 95% des joueurs d’un Free-to-Play ne dépensent pas un sou ! Le rôle de ces joueurs « non-monétisés » est cependant à ne pas négliger car ils contribuent au buzz, à l’animation du jeu et à sa promotion en invitant des amis. Par rapport aux modèles économiques traditionnels, vente du jeu complet ou abonnement, le Free-to-Play offre de nombreux atouts qui expliquent que de petits studios aient pu se construire des empires en peu de temps.

Petits studios, grands empires dans le marché des loisirs interactifs !


Un jeu en Free-to-Play ne nécessite pas de développer l’intégralité de son contenu avant le lancement car ce dernier est fabriqué en fonction du retour des joueurs. Nexon estime qu’un Free-to-Play peut être lancé avec 50% de son contenu définitif. Pour Playfish, l’une des étoiles montantes dans ce domaine, ce pourcentage n’est que de 20% ! D’autres raisons expliquent ce fait: les technologies utilisées sont souvent simples et peu coûteuses. Comme le contenu est gratuit, les joueurs ne sont pas exigeants. Ces jeux ne nécessitent pas d’investissement initial important, que leur mise en place est rapide et qu’on peut les adapter à la demande, le risque pour l’investisseur est faible.

Un des secrets de la réussite d’un Free-to-Play est de mettre en place un système très robuste de récupération et d’analyse de statistiques. Ce sont ces dernières qui permettent de comprendre comment les joueurs y jouent et ce qui leur plaît. L’exploitation de ces données et l’écoute attentive des remarques des joueurs permettent de corriger les défauts du jeu et d’en développer ses points forts. Une accroche imparable : le gratuit. Peu de chose retient un joueur d’essayer un jeu qui ne lui coûte rien. Et si ce jeu lui a été conseillé par un(e) ami(e), l’attrait est encore plus fort. La monétisation d’un Free-to-Play repose sur trois sources principales: la publicité, les microtransactions générées par la vente d’objets ou de fonctionnalités, les « items » et les abonnements VIP, appelés freemium. La publicité prend deux formes : l’affichage d’encarts (bannières) et l’affiliation. Pour rappel, cette méthode consiste, pour un site, à se faire payer par un annonceur chaque fois qu’un utilisateur de son site clique sur un lien conduisant vers le site de l’annonceur.

Les jeux en ligne actuels se caractérisent par un coût de développement peu élevé (environ 1/10 du coût d’un gros jeu PC) et par une qualité moindre. Mais en même temps, ils sont quand même amusants. Et en comparaison des jeux PC vendus en boîte, la pression autour de la qualité initiale d’un jeu en ligne est largement moins forte. En général, les développeurs d’un jeu en ligne le sortent alors même qu’il n’est pas fini et l’améliorent au fil du temps, avec l’aide de la communauté. Les jeux sont clairement en train de s’intégrer plus profondément dans la vie et les activités sociales des consommateurs. Qui plus est la variété actuelle de plateformes et de type de jeux combinés aux faibles barrières d’entrées sur les free-toplay assurent la croissance future dans les pays occidentaux et plus encore dans les marchés émergents comme la Chine et le Brésil. Jeux gratuits et payants ne sont néanmoins pas totalement incompatibles, car le free-to-play permet de faire grandir le marché et d’attirer de nouveaux joueurs. D’autres imaginent même à l’avenir un mélange entre plusieurs modèles économiques afin de générer davantage de revenus.

D’après Idate, l’un des principaux centres d’études et de conseil, «le jeu en ligne est le segment le plus dynamique d’ici à 2013. Il va encore davantage se développer grâce aux téléviseurs connectés, à la variété grandissante des catalogues de jeux, à la cohabitation de modèles économiques stimulant la concurrence et à des stratégies tarifaires multiples et agressives, allant du Free-To-Play à l’abonnement Premium». Le secteur s’ouvre à de nouvelles formes de jeux, au-delà du jeu parfois. Le jeu occasionnel (jeu sans apprentissage, dont les parties sont courtes, et réalisé dans un environnement graphique pas nécessairement élaboré) offre des perspectives qui le conduisent vers le marché de masse. Le jeu vidéo tirera profit des avancées technologiques des réseaux.

Le déploiement de la fibre optique permettra ainsi le développement de services de jeux streamés, qui ne nécessitent ni d’avoir une machine de jeu, ni d’avoir un medium de jeu, mais uniquement un terminal d’interaction, soit un téléviseur.

N'TIC 54 / AVRIL 2011