Internet, réseau mobile et signal satellitaire : la censure est-elle à nos portes ?

Numéro dossier: 114

Notre pays faisait partie des rares nations arabes et africaines à n’avoir jamais censuré Internet. Quelles que soient les difficultés par lesquelles nous sommes passés, jamais les autorités algériennes n’étaient arrivées à la censure du web, ou en tout cas officiellement. Même dans des contextes très sensibles tels que le Printemps arabe où appels à manifestations, émeutes et autres révoltes avaient été lancés, notamment de l’étranger, le réseau internet était resté intact. Un fait qui plaçait l’Algérie loin devant ses voisins régionaux, habitués à se voir restreindre l’accès à certains sites web au moindre grabuge. Une fierté que même nos militants de la démocratie, journalistes et autres politiques, n’hésitaient pas à ériger en arguments devant leurs homologues étrangers, et à juste titre, pour montrer les avancées et surtout les acquis de notre pays dans ce domaine.

Mais ça, c’était avant. En Juin dernier, alors que personne ne s’y attendait vraiment, cette longue série de bons agissements vis-à-vis du web a volé en éclat. Il aura suffit d’une fuite des sujets du baccalauréat et leur publication sur la Toile, un phénomène impliquant quelques milliers d’Algériens sur les 40 millions que compte le pays, pour que les autorités prennent une décision considérée par beaucoup comme radicale et inefficace mais surtout dangereuse. Couper les réseaux sociaux et perturber Internet des jours durant pour toute une société.

Pour la première fois de son histoire, l’Algérie a retreint à ses citoyens l’accès à certains sites (les réseaux sociaux dans notre cas). Une première pour les internautes qui n’ont jamais vécu une situation pareille, eux qui n’avaient jusque-là vu cela que dans d’autres pays en conflit. Un geste qui a vite rappelé les sombres souvenirs dela Tunisiede Benali, de l’Egypte à l’époque des conflits et des autres contrées où le libre accès à Internet n’est pas bien vu. Nous nous étions crus à l’abri de tout cela. Que nenni. Evidemment, la comparaison peut sembler exagérée et caricaturale. Elle l’est d’ailleurs.  Alors qu’en Egypte ou en Tunisie, tous les sites jugés indépendants des régimes en place avaient été censurés. Les réseaux sociaux coupés et les communications très restreintes pour éviter les appels à rassemblement, en Algérie, l’accès a été étranglé uniquement sur les réseaux sociaux. Cela n’a duré que quelques heures par jour et uniquement pendant les épreuves du bac. Aucun site d’information, quelle que soit sa ligne éditoriale, n’a été touché et la presse s’en est donnée à cœur joie dans la critique de cette décision, poussant la classe politique à s’en mêler par le biais de la Ministre du secteur. Mais tout de même, le blocage des réseaux sociaux a occasionné des désagréments énormes. En plus des millions de particuliers punis pour cause de bac, tout le tissu économique avait également pâti de cette situation.  Mails non envoyés, recherches difficiles, téléchargements quasi impossibles, et communication au ralenti. Heureusement qu’en 2016, le monde numérique a pris le dessus un peu partout dans la planète… sauf en Algérie.

L’Algérie a déjà coupé un signal satellite !

En réalité, l’Algérie n’en est pas à sa première censure à l’occasion du Bac. D’autres restrictions ont eu lieu auparavant, dans des contextes et pour des situations bien précises, et cela sans faire autant de bruit. En effet,6 ans avant le Bac 2016, un  groupe de journalistes algériens établis à l’étranger avaient créé Radio Kalima. Une radio contestataire disponible via le satellite et le web. Très hostile au régime en place, cette plateforme de presse s’était érigée en opposant politique, se servant de ces deux moyens de communication pour faire entendre sa voix. Mais les autorités ne l’entendaient pas de cette oreille. Quelques mois après son lancement, le site de la radio devient subitement inaccessible (il est redevenu accessible peut de temps après). Puis vint le tour du signal satellite qui permettait à la radio de diffuser, soudainement coupé. Gros étonnement en Algérie. Les autorités peuvent peut-être empêcher l’accès à un site web mais pas couper le signal satellite. Que s’est-il donc passé ? En fait, sur demande de l’Algérie, c’est le fournisseur du signal satellite lui même, Eutelsat, qui a tout simplement tout coupé. Il l’avait expliqué ainsi dans un courrier envoyé à Radio Kalima, sous pressions des autorités qui avaient brandi la loi algérienne sur l’audiovisuel, ne permettant pas les radios privées. Un premier exemple de censure basé sur des faits légaux.

Ralentissement de la connexion, une autre sorte de censure 

Autre sorte de censure qui ne dit pas son nom, la faible connexion dont nous disposons. Certains experts vous le diront. La lenteur de la connexion en Algérie est peut-être voulue. Non pas qu’on veuille des désagréments gratuits aux citoyens, mais une connexion rapide et efficace permettrait l’éclosion d’une bulle Internet, quasiment ingérable. Une situation crainte en haut lieu, eu égard aux dérapages qui peuvent en découler. Identifier, veiller et surveiller une pléiade de sites internet qui peuvent être dangereux ou suggestifs, rien de plus difficile dans un pays hyper connecté. Surtout si l’on est mal équipé côté institutions du contrôle. Du coup, la solution peut être alors de temporiser, le temps de trouver des solutions et de s’équiper pour faire face à ce genre de situation. C’est de moins ce qu’expliquent certains connaisseurs. Une connexion lente, à cause d’un désinvestissement dans l’acquisition d’une bande passante digne de ce nom, qui permet tout juste de se distraire et de correspondre. Voilà le meilleur remède pour cela, mais jusqu'à quand…

Censure du réseau mobile, l’Algérie l’a déjà fait mais pour les bonnes raisons

En Décembre 2010, les réseaux mobiles avaient été coupés pendant 15 jours dans certaines régions de Kabylie. A cause d’une opération militaire anti-Aqmi, il n’était plus possible de téléphoner via son portable dans cette partie de l’Est du pays. Cela pour éviter que les groupes armés, qui se trouvaient en nombre dans ces montagnes, ne puissent communiquer entre eux. Les autorités avaient alors instruit de perturber les communications. A cette époque, cette décision, bien qu’elle ait fait du bruit, n’avait pas choqué plus que cela, étant donné son bien fondé.

Si l’Algérie l’a fait une fois…

Ainsi, le sacrosaint droit à la totale liberté d’expression ou de communication a été restreint au moins trois fois, sur trois canaux différents, et pour des raisons variées en Algérie. Mais le plus effrayant n’est pas ce qui a été fait, mais ce qui pourrait l’être. En effet, la plupart des écrits journalistiques et autres interventions de la classe politique à ce sujet, ravivés par les dernières coupures du web,  ne se sont pas attardés sur des faits factuels (ce qui s’est passé et pourquoi), mais plutôt sur les capacités dorénavant connues des autorités algériennes à faire ce genre de choses, à tout moment. La lutte anti-terroriste, contre la triche, ou la chasse aux  appels suggestifs, qui sont toutes totalement condamnables, sont-elle des raisons valables de censure ? Un éternel débat.

A l’étranger où des organisations, la presse étrangère et les Algériens établis outre-mer se sont saissi récemment du dossier, c’est le même constat. Si l’Algérie l’a fait, pourquoi elle ne le referait pas à une autre occasion, moins objective ou qui ne fait pas l’unanimité au sein de la société ? Une situation qui rend les Algériens attentifs au moindre et plus banal bug du web par exemple. Dorénavant le moindre ralentissement de la connexion internet donne lieu à des rumeurs folles. L’organisation d’événements, d’examens nationaux, et autres manifestations sensibles donnent également lieux aux bruits de couloirs à ce sujet. Tout le monde sait que les autorités peuvent procéder à ce type d’agissements à la moindre occasion difficile. Une sorte de paranoïa généralisée qui ternit au passage l’image de l’Algérie. Des pays voisins comme l’Egypte et le Maroc ont connu les mêmes situations sans pour autant s’en prendre à Internet, ou à la coupure de signaux, ou du réseau.

Bref, reste qu’une chose est sure, les Algériens ne sont pas prêts de tout accepter. Lors de la récente coupure d’Internet à cause du Bac, en fin de journée, lorsque les réseaux sociaux ont de nouveau été accessibles, c’est un déversement de critiques qui ont afflué sur le web. Les autorités savent désormais que la censure d’Internet est un sujet sensible que les Algériens prennent très à cœur.

Coupure des réseaux sociaux, le coup de massue

Côté autorités, après un long silence observé par les institutions publiques, la Ministre a fini par prendre la parole pour donner des explications via le canal officiel. Imane-Houda Faraoun confirmait alors les coupures, occasionnées par des restrictions de l’accès aux réseaux sociaux. Le mot est lâché. Les autorités assument carrément une censure. Pour argumenter ses propos, la première responsable du secteur parle de la préservation des candidats au BAC contre ce qu’elle a qualifié de machination. " Dans l’objectif de protéger nos candidats au baccalauréat contre les tentatives de déstabilisation via de faux sujets et des rumeurs malveillantes, nous avons procédé, en relation avec l’Autorité de Régulation de la Poste et des Télécommunications, ainsi que l’ensemble des opérateurs de télécommunication, à la restriction de l’accès aux principaux réseaux sociaux pendant des horaires limités liés à ces examens " indique-t-elle.

Des arguments qui n’ont pas satisfait l’opinion algérienne pour plusieurs raisons. D’abord le fond du problème. En coupant Internet, les autorités n’ont pas agi sur le principal souci qui est la fuite des sujets. Elles ont juste rendu difficile la propagation de ces derniers sur le Net. Autrement dit, elles ont déplacé le problème. Ensuite, ce que la Ministre qualifie de machination reste subjectif. Certes, la fuite des sujets du Bac a lieu avec une complicité de certains cercles, notamment au niveau des institutions concernées par cet examen, mais il est très subjectif de considérer cela comme une machination. Tout autre événement incommodant pourrait alors être considéré comme une machination. La publication d’une pétition, la révélation de documents, ou de preuves dans des dossiers sensibles.

Enfin, il ne faut pas oublier que seuls quelques milliers de personnes ont été concernés par le Bac. Les autorités ont pourtant perturbé Internet pour tout le monde. En dehors de l’aspect important de cet examen, 40 millions d’Algériens devraient-ils à chaque fois payer pour les autres et pour n’importe quel événement aussi sensible soit-il ? Assurément non. Cela serait très inégalitaire, mais donnerait une très mauvaise image de notre pays aux investisseurs étrangers déjà échaudés par l’instabilité bureaucratique.

Les pertes économiques dans tout cela

Economiquement parlant, ce qu’ont fait les autorités algériennes est suicidaire. Le site Algerie-focus.com a estimé les pertes liées aux perturbations sur le réseau internet à cette époque à 300 millions d’euros. Les médias ont été freinés et les entreprises ralenties. Les opérateurs, n’en parlons même pas. Ces derniers n’ont pas pu exploiter convenablement leur réseau 3G des jours durant. Des pertes énormes ont donc été consenties et cela sans aucune contre partie. Et cela ne semble pas gêner plus que ça les autorités concernées.

En effet, en réponse à une question sur les désagréments générés par ce blocage des réseaux sociaux et ces perturbations d’Internet, la Ministre des TIC a eu cette réponse des plus étonnantes : " Le devenir des candidats au baccalauréat nous oblige à faire le sacrifice et à céder un peu de notre bien-être personnel pour contribuer au bon devenir de toute la société ". En gros, les autorités ne regrettent rien de ce qu’elles ont fait, et si pertes économiques il y a, c’est tant pis. Un très mauvais signal et des plus effarants, envoyé à l’adresse du tissu économique.

Une mesure peu efficace

Ironie du sort, les actions prises par les autorités pour restreindre l’accès aux réseaux sociaux n’ont pas marché. Dés l’annonce de la mesure, des centaines d’appels au contournement ont été lancés sur Facebook et autres réseaux sociaux. Même la presse en a fait écho. L’utilisation des VPN, des sortes de réseaux parallèles qui permettent aux internautes de se connecter via un autre pays, a vite pris des proportions qui ont pris tout le monde de cours. Le soir de la première journée de perturbations, pratiquement tout le monde était sur le Net, même si la connexion était incroyablement lente. Du coup, c’est une opération qui s’est révélée totalement inefficace. Tellement que même des sujets se sont retrouvés sur les réseaux sociaux (faux sujets selon la Ministre de l’éducation). La mesure prise par les autorités a donc été un coup d’épée dans l’eau aux conséquences colossales.

Une chose que le ministère ne pouvait ignorer. Bien qu’ils soient critiqués sur leurs actions politiques, les principaux concernés au niveau du Ministère de la Poste et des TIC sont des experts en la matière. Nul ne peut renier leur compétence dans le domaine, ce qui relance les débats et les folles rumeurs sur les vrais objectifs de cette opération. Wait & see.


Entretien avec Hichem BOULAHBEL, Directeur Général de Datagix

DATAGIX est une entreprise d'hébergement internet, leader sur le marché algérien, qui offre des solutions complètes d’hébergement WEB en haute disponibilité dans ses propres DATACENTER en Europe et en Algérie. Elle héberge plusieurs plateformes des plus grandes sociétés du pays. Elle offre également des services d’intégration informatique, de Télécom et de formation, et assure des prestations clés en main dans le domaine de la construction du data center en Algérie. Le Directeur Général de cette entreprise, Hichem Boulahbel, a accepté de répondre à quelques-unes de nos interrogations.

N'TIC : Les autorités ont procédé au blocage des réseaux sociaux et de certains sites web lors des dernières épreuves du baccalauréat pour éviter la fuite des sujets. Une sage décision selon vous ?

Hichem Boulahbel : Selon moi, ce n’est pas une sage décision. Nous avons essayé de solutionner un problème en en provoquant un autre, sans tenir compte des conséquences économiques engendrées par une telle décision. Aujourd’hui, les réseaux sociaux prennent une place de plus en plus importante dans la vie d’une entreprise. Je connais beaucoup d’entreprises algériennes qui ont bien compris l’opportunité d’une plateforme comme Facebook ou Twitter, et beaucoup d’entre elles veulent tirer profit de la puissance d’un tel outil de communication. Malheureusement pour elles, toute leur activité SEO s’est vue arrêtée pendant la période du BAC, ce qui a donner lieu à des pertes financières conséquentes.

N'TIC : Quelles sont les alternatives qu'auraient pu utiliser le gouvernement pour sécuriser ce type d'examen sans en arriver à la solution extrême, celle de couper Internet ?

H.B : Aujourd’hui, les TIC permettent de répondre aux besoins de la sécurisation de l’information  de bout en bout. Nous pouvons maîtriser un tel écosystème numériquement et  indépendamment de l’humain. Sur ma page Facebook, j’ai posté un article le 3 juin qui présentait un système d’impression étendu sur un réseau de 1 580 imprimantes installées dans les 1 580 communes du pays. Ces imprimantes seront connectées de manière sécurisée sur un serveur hébergé dans un Datacenter qui trie à 5h du matin cinq sujets au hasard et l'envoie automatiquement à ces imprimantes. Personne ne saura quel sujet est validé, c’est le robot qui le fait. Nous aurons ensuite 3 heures pour acheminer les sujets avec 1 580 gendarmes pour les 20 lycées de chaque commune. Ce genre de système va permettre déjà de réduire les risques de fuites de sujets de manière significative. En ce qui concerne la publication des sujets pendant les épreuves, il faut équiper les centres d’examen de détecteurs de smartphones pour éviter ce genre de fraudes et empêcher les élèves d'entrer en contact avec le monde extérieur.

N'TIC : Les internautes ont cependant usé de subterfuges pour se connecter, comme la connexion via VPN. La Ministre a d'ailleurs diabolisé ce type d'utilisation. Qu'en pensez-vous ? Quels sont les avantages de ce type de connexion ?

H.B : Diabolisé, c’est un peu fort comme terme. L’utilisation du VPN a permis à beaucoup d’Algériens d’accéder à leurs comptes Facebook malgré le blocage imposé par Algérie Télécom. Maintenant, pour  frauder, c’est autre chose. C’est une question d’éthique et d’éducation. La connexion VPN est une alternative dans le cas où des règles de firewalling sont appliquées sur le réseau d’un utilisateur. Au lieu par exemple d’initier une connexion TCP directement avec une plateforme comme Facebook, l’utilisateur peut  passer via un Tunnel VPN et crypter ainsi toute sa communication à travers une autre IP que celle fournie par son fournisseur internet. En conséquence, il peut contourner le chemin de sa connexion avec le monde entier et ne plus être soumis aux règles de blocage de flux imposé par son opérateur.

Je souhaite juste rajouter qu’il est temps de changer de CAP et de penser au socle numérique qui va sans aucun doute apporter tout le bien pour notre baccalauréat et éviter le marasme que nous avons connu cet été. Un grand pays comme l’Algérie a tous les moyens humains et technologiques pour protéger son baccalauréat et les nobles valeurs inculquées depuis des générations par nos aînés, qui sont malheureusement délaissées ces derniers temps au détriment de nouvelles traditions étranges à notre société.